Des idées pour travailler la poésie

Quand on pense poésie, des souvenirs reviennent : vos élèves, ou vous-même, enfant, en pleine récitation devant la classe... Si les programmes insistent fortement sur l'oralisation de la poésie, ce n'est pas la seule manière de la travailler. Comme tout art du langage, c'est une discipline vivante, alors continuons à donner le goût de la poésie à nos enfants en variant les approches !

Pour enrichir sa culture littéraire :

Faire entendre des poèmes

Avez-vous déjà distribué un poème (ou écrit au tableau) en annonçant que vous allez le découvrir ensemble, sans le faire entendre d'abord ? Mettre les élèves face à l'écrit directement peut être bloquant. N'hésitez pas à "vendre" votre poésie et à prendre le temps de la déclamer. Nul besoin d'en faire des tonnes et de décourager les élèves pour la suite, une lecture qui suit les pauses et les groupes de mots est déjà rythmée.
Un bon nombre d'enregistrements lus ou chantés existent : par exemple, Ridan avec Ulysse (avec quelques modifications par rapport à la version originale), la reprise de Demain, dès l'aube des Frangines ou le projet Poésies de notre enfance en partenariat avec le chanteur Grégoire.

Poésie | CE2-CM1 | Fiche de préparation (séquence) | lecture et compréhension de l’écrit, arts plastiques, education musicale et ecriture | Edumoov
Poésie. Fiche de préparation (séquence) pour les niveaux de CE2 et CM1. L’objectif de cette séquence est ”- Reconnaître un poème - Connaître les caractéristiques du poème - Lire, comprendre et interpréter des poèmes - Réaliser et donner à voir, individuellement ou collectivement, des productions pla…

On peut aussi faire du "teasing" avec la poésie : chaque matin, dévoiler un vers ou une strophe et en discuter ensemble, imaginer la suite... pour découvrir la poésie en entier à la fin de la semaine.

Laisser des poèmes à disposition dans la classe

Pour développer le goût de la poésie chez les enfants, il est important de leur fournir "le matériau" principal :  des poèmes de styles, époques, thèmes variés, quel que soit le support utilisé (panneau, classeur, numérique...).
Les enfants pourront les consulter pendant leur temps libre, un temps "Chut, je lis", ou encore choisir une poésie dans le but de la réciter à la classe. Vous pouvez retrouver un exemple de mise en place sur le blog de Lutinbazar. Elle a établi un système de récitation avec des points par poème : les élèves doivent atteindre 10 points à la fin de l'année. Cela évite le côté rébarbatif de la récitation à la chaîne, et invite les élèves à choisir selon leur goût et à faire preuve de stratégie : préfèrent-ils apprendre et réciter dix poèmes faciles à 1 point, ou trois ou quatre poèmes difficiles à 3 points ?

Bien sûr, on peut laisser une place aux poèmes rédigés par les élèves eux-mêmes ;)

Analyser un poème de manière ludique

Tenter d'expliquer un poème à des élèves, ce n'est pas toujours du gâteau ! Comme tout art, les élèves doivent découvrir les codes de la poésie pour apprécier, alors aidez-les à déchiffrer la recette, par des activités variées :

  • Découvrir des corpus de textes poétiques (ou un texte poétique parmi des textes d'un autre genre) afin de discuter des caractéristiques qui font ou non qu'un texte appartient au genre "poésie".
  • Proposer une seule poésie qui sera travaillée sous forme d'ateliers de questionnement de textes (AQT) : après lecture individuelle, on cache la poésie pour échanger sur ce qu'on en a compris. L'enseignant note les idées au tableau en les organisation selon des catégories qu'il choisit en fonction (par exemple : "ce qu'on a compris", "à vérifier", "nos ressentis"...), sans intervenir au départ. Il peut ensuite guider la réflexion en posant des questions s'il pense que les élèves sont passés à côté d'un point important. Enfin, on peut revenir au texte pour retrouver les mots qui nous permettent de comprendre ou d'imaginer, ou pour vérifier certains points.
  • Ecrire une poésie, normalement en vers, sous la forme d'un texte en prose et demander aux élèves de la redécouper correctement. En s'aidant de la ponctuation et des groupes de sens, les élèves pourront faire émerger les notions de rimes, de rythme et de respirations.
  • Cacher le dernier mot d'un ou plusieurs vers, et proposer une liste de mots possibles. Aux enfants de voir quel(s) mot(s) pourraient convenir et expliquer pourquoi : parce que ça rime, parce que ça fait le même nombre de syllabes... Toute réponse pourrait être acceptable, si elle est argumentée par l'élève !

Aider à la mémorisation d'un poème :

Ha, la fameuse poésie à apprendre ! Certains élèves la connaissent déjà en l'ayant entendue et écrite une fois, et puis il y a les autres, ceux qui vont y laisser beaucoup d'énergie...

Une poésie peut s'apprendre de manière classique, en lisant et répétant, et en s'appuyant sur les rimes, les répétitions, le nombre de syllabes par vers. On pourrait y ajouter les idées suivantes :

  • L'enfant récite la poésie vers par vers, en écho avec l'adulte.
  • L'adulte récite plusieurs fois la poésie en laissant des "blancs" pour que l'enfant complète. Il fait varier le nombre, la position ou la longueur des blancs.
  • L'adulte récite une poésie en faisant des erreurs que l'enfant doit corriger.
  • Réciter la poésie de différentes manières pour ne pas se lasser : en chantant, en murmurant, en scandant les syllabes...
  • Pour mieux ressentir le rythme et le nombre de pieds dans une poésie, la réciter en marchant, en sautant dans des carreaux, des cerceaux ; compter les pieds (de la poésie) sur ses doigts (d'humain)...

Passer par l'écrit ou le geste graphique est une autre façon de mémoriser son texte. Sur Educartable, l'outil "Révisions" dans le cahier de texte permet de mettre en forme rapidement un texte pour :

  • Remettre les vers mélangés d'une poésie dans l'ordre
  • Compléter les blancs d'une poésie (avec des mots proposés ou en écrivant directement).

Pour les enfants dont la mémorisation est difficile dès qu'elle est liée au langage, oral ou écrit, le sketchnote (croquis annoté) est un bon soutien pour donner des repères, que l'élève pourra laisser de côté petit à petit.

Sketchnote de la poésie Bleu et Blanc de Maurice Carême. Merci à Aurélie de nous avoir autorisé à diffuser ce croquis, disponible sur son blog maclasseenove

Enfin, on peut allier corps et langage pour mieux mémoriser la poésie :

  • Tour à tour, chaque élève pioche un vers du poème. Il mime le vers pour que les autres le devinent et le récitent.
  • Les élèves sont assis en rond. Un premier élève déclame un vers en regardant son voisin, puis le voisin fait de même, etc. On peut soit faire déclamer le même vers à tous, puis passer au deuxième vers quand chacun est passé ; soit chaque élève du cercle récite un vers de la poésie et "passe le relais" au suivant.
  • Un élève est assis au centre d'un cercle d'élèves. Tour à tour, les élèves du cercle se lèvent pour lui réciter un vers de la poésie à l'oreille, pour ne pas que les autres entendent. Les enfants du cercle doivent donc réciter en même temps la poésie dans leur tête ; l'enfant du milieu peut intervenir s'il pense que l'élève qui se lève n'a pas récité le bon vers.
  • On forme deux groupes d'élèves, qui se font face. Le 1er groupe récite un vers (ou une strophe). Le deuxième groupe lui répond. Puis on recule d'un pas. Le premier groupe récite la même chose plus fort, idem pour le groupe en face. On recule d'un pas, et on augmente peu à peu le volume sonore.

Ces idées sont issues ou inspirées du blog "En avant la musique".

Mettre en valeur l'oralisation du poème :

S'entraîner à la diction

  • Les comédiens et les musiciens ont besoin d'une répétition générale avant la grande représentation. Pourquoi ne pas proposer à certains enfants des "répétitions" de leur poésie devant l'enseignant, un petit groupe ou la classe, en les autorisant à avoir le poème sous les yeux ? Sans la pression de l'évaluation ou du trou de mémoire, ils seront plus attentifs à mettre le ton ou plus réceptifs aux remarques de leurs camarades, que le jour de la récitation.
  • Les enfants raffolent des virelangues ! Instaurez des rituels de découverte : présenter le virelangue oralement, en retrouver les mots pour les écrire ; prendre le temps d'expliquer la signification du virelangue ; s'entraîner chaque jour, de plus en plus vite, à le redire. Les volontaires pourront déclamer leur virelangue à la fin de la semaine. Vous trouverez des cartes de virelangues sur le site Petit Abécédaire de l'école.
Source : Freepik

Mélanger poésie et autres arts

Pour varier de la traditionnelle récitation de poésie, on peut créer un poème sonore, c'est à dire déclamer le poème en l'accompagnant de bruitages (percussions corporelles, bruits de bouche, sons recréés...). Canopé propose des pistes pour travailler le poème sonore ici.

On peut mettre les élèves au défi de réciter leur poésie comme s'ils étaient... une grand-mère... un serpent... en colère... un robot...
Ce travail permet de mettre en valeur les différents tons, intensités de voix, sentiments et gestes associés et peut entraîner une discussion sur la manière dont ils appréhendent la poésie à réciter. Les rend-t-elle joyeux, tristes ? Y a t-il des mots qui leur inspirent des gestes ou sur lesquels ils ont envie d'insister ? Ont-ils besoin d'être calmes et statiques pour réciter ou préfèrent-ils bouger, se déplacer, parler avec les mains ?

Je ne m'attarde pas sur l'illustration d'un poème par les enfants car c'est une activité qui est quasiment proposée de manière systématique. Pour les plus motivés d'entre vous, l'étude d'un poème pourrait inspirer la création d'un calligramme ou d'un décor en arts visuels, décor qui serait installé dans la classe, ou dans l'école pour le moment de la récitation.

Caligramme La femme au chapeau de Guillaume Apollinaire (1915) - Source : Wikipedia Commons

Devenir un poète :

En maternelle, de la "poésinologie"

Avec les plus petits, poésie et phonologie sont intimement liées. La découverte des sons, des syllabes, des rimes est propice aux jeux poétiques :

  • Inventer des rimes avec les prénoms, le grand classique intemporel ! "Manon fait du violon", "Malek mange de la pastèque", "Gaspard se lève trop tard".
  • Création de créatures ou d'objets imaginaires en mélangeant les syllabes de plusieurs mots.
  • Ecouter, apprendre et réciter des formulettes et des comptines pour entraîner son oreille et sa mémoire : Am Stram Gram, une poule sur un mur...
  • Inventer des poèmes avec des structures déjà définies, inspirés de comptines ou d'albums (cela continue aussi de fonctionner pour tout le primaire, comme dans ce travail de Charivari).
  • Créer des boîtes ou des paniers de mots qui riment.
  • Réciter une poésie affichée, dont certains mots sont remplacés par des dessins. Trouver les mots qui pourraient convenir en fonction du contexte.

Des jeux poétiques, encore et toujours !

Dans le cadre de la création poétique, l'Oulipo semble un bon support, ludique et apprécié des enfants. Qu'est-ce que l'Oulipo ? C'est l'OUvroir de Littérature POtentielle, un mouvement d'écriture né dans les années 1960. Ce mouvement vise à inventer une nouvelle littérature, qui n'existe pas encore (donc potentielle), en se basant sur des contraintes d'écriture. Parmi les plus connues, on trouve :

  • le S+n : dans un texte, on remplace chaque substantif (S) par le nième rencontré après lui dans le dictionnaire. Avec un modèle S + 7, La cigale et la Fourmi devient par exemple La Cimaise et la Fraction.
  • Le lipogramme : écrire un texte sans utiliser une ou plusieurs lettres. C'est ce qu'a fait l'écrivain Perec dans La disparition, qui n'emploie jamais le "e".
  • Le mot-valise : on crée un nouveau mot en collant deux mots qui ont une syllabe commune. Ex : "vipèrenoël"
  • L'alexandrin greffé : prendre le premier hémistiche d'alexandrin d'un poème, et le second hémistiche d'un autre poème pour créer un troisième alexandrin.
  • le tautogramme : tous les mots d'un texte commencent par la même lettre.

Sur Edupreps, vous trouverez une séance de notre collègue Charlotte sur l'Oulipo !

L'Oulipo a pris un coup de jeune avec le #twoulipo : ce dispositif propose aux élèves de faire rédiger des textes courts respectant les contraintes de l’OuLiPo, pour les partager ensuite sur Twitter, les lire et désigner les textes favoris par catégorie.

On pourrait établir une liste infinie d'idées pour écrire de la poésie (sans avoir l'impression d'en faire), les plus connues étant les acrostiches, les centons ou encore les calligrammes, mais encore :

  • Portrait chinois : "Si j'étais un animal, je serais..."
  • Des associations fantaisistes comme dans le poème de Jacques Prévert Cortège :
Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d’Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
  • Ecriture de poèmes selon une métrique donnée : sonnets, haïkus, etc.
Découvrir une nouvelle forme poétique : le haïku | CM2 | Fiche de préparation (séquence) | culture littéraire et artistique | Edumoov
Découvrir une nouvelle forme poétique : le haïku. Fiche de préparation (séquence) pour le niveau de CM2. L’objectif de cette séquence est “Apprendre à identifier un haïku et s’en approprier la forme. Mettre en place un répertoire numérique de poèmes.” et sera travaillé à travers les domaines discip…
  • Inventer des allographes. Qu'est-ce qu'un allographe ? C'est une suite de lettres ou de chiffres n’ayant de sens que si celles-ci sont prononcées les unes après les autres : "N-R-V", "A-J-T", "G-V-Q" ou encore "4-4-4...7-1-9"
Dans cette peinture, Marcel Duchamp réalise un bel allographe...mais ce n'est pas très adapté au primaire ! Photo Cédric Vandamme - Flickr
  • Inventer des listes plus ou moins saugrenues sur un thème, par exemple "49 raisons de manger des épinards".
  • Découvrir ou inventer des calembours (jeu de mots fondé sur des ressemblances de sons et des différences de sens), quelques exemples :
- Un seul hêtre vous manque et tout est des peupliers. (Jean-Paul Grousset)
- Vieux motard que jamais !
- Notre but est atteint, comme la tarte du même nom.
(Philippe Geluck)
- Nous le savons et pas seulement de Marseille.
(Pierre Desproges)
- De deux choses lune, l'autre c'est le soleil.
(Jacques Prévert)

Ecrire à partir d'une banque de mots

Les élèves peuvent créer et enrichir une banque de mots pour la classe. Plusieurs tris sont possibles : par champ lexical ou en fonction de leur sonorité (rimes, sons récurrents, nombre de syllabes...). Ces mots peuvent être présentés sous forme d'étiquettes (dans des boîtes, aimantées sur un tableau, épinglées à un panneau...) ou accessibles par un document numérique. On piochera dedans pour inventer une poésie utilisant ces mots, ou en lien avec ces mots.

Variable de l'écriture à partir d'une banque de mots : réaliser des centons, c'est à dire prendre des mots d'une ou plusieurs poésies pour écrire d'autres poésies.

Tout le monde est poète... à un moment donné !

Je ne connais pas d'enseignant qui n'ait pas entendu de "perle" d'élève dans sa carrière. Le terme est parfois connoté négativement, en tout cas souvent pour se moquer...Selon la définition du Larousse, une perle est une "erreur, méprise ou maladresse grossière qu'on relève dans les propos ou les écrits de quelqu'un". Mais je préfère les autres définitions du mot, comme "ce qu'il y a de mieux en son genre" ou "chose remarquable ou de grande valeur". Si elle est involontaire, la perle se pare tout de même d'une aura poétique dans certains cas...Alors valorisons les perles de nos élèves pour montrer qu'une erreur peut mener à quelque chose de créatif ou cocasse ! En voici quelques unes, glanées au fil des années :

Il y a des étoiles d'araignées sous le banc...
Est-ce qu'on va traverser sur le passage qui tombe ?
Je vais regarder comment ça s'écrit dans la Béchamel...
J'aime bien le sirop d'aimable sur les pancakes !

*Photo de couverture : Poème urbain "Barcino" de Joan Brossa, place de la Cathédrale de Barcelone, photo de Josep Bracons (licence CC-BY)