La cour de Babel est un film documentaire qui a déjà quelques années,  mais reste toujours d’actualité. La réalisatrice Julie Bertuccelli  s’est installée pendant un an dans une « classe d’accueil » (officiellement nommée UPE2A « Unité Pédagogique pour Elèves Allophones* Arrivants » depuis 2012), dans le collège La Grange aux Belles à Paris. Cette unité fonctionne sur le même principe que les ULIS : les élèves sont inscrits officiellement dans une classe de rattachement correspondant à leur âge (6e, 5e, ...). Ils y sont plus ou moins inclus en fonction de leur maîtrise de la langue française. Par exemple, un nouvel arrivant maîtrisant peu la langue aura très peu de cours dans sa classe de rattachement, tandis qu’un élève qui commence à bien maîtriser le français passera la majeure partie de son temps dans sa classe de rattachement, ne venant plus que quelques heures en UPE2A. Le but étant, au final, d’inclure totalement ces élèves dans le cursus scolaire français ordinaire.

La Cour de Babel a le mérite de faire connaître ce dispositif dont on parle peu, cependant vous n’apprendrez pas grand-chose sur son fonctionnement : le film ne montre quasiment pas de séances d’apprentissage, de travail en équipe entre classe de rattachement et UPE2A, et le côté « administratif » est tout juste suggéré. Par exemple, on voit les élèves passer le DELF (Diplôme d’Étude de la Langue Française) à un moment du film, mais le nom du diplôme n’est pas évoqué. De même, l’inclusion en classe est abordée mais pas centrale dans le film. On ne voit pas l’enseignante préparer sa classe. Elle est petit à petit mise en valeur, simple voix off au début, puis découverte de son visage, et enfin présence rassurante et marquée à la fin du film.  Mais pas d’interview sur ses impressions, sur sa manière d’enseigner. La Cour de Babel n’est donc pas un film pédagogique.

Ceci étant dit, on passe un bon moment devant ce documentaire et il mérite qu’on s’y intéresse, parce qu’il est résolument positif et ouvre les consciences.
Sur les 24 élèves de la classe, 22 nationalités sont représentées, de quatre continents différents. On découvre peu à peu le profil, les sentiments de chacun dans des scènes tournées en grande majorité au sein de la classe, entrecoupées par des plans globaux de la cour de récréation sur une musique d’Olivier Daviaud. Les élèves sont questionnés sur leur vie d’avant, la raison de leur arrivée en France, leurs impressions sur le monde qui les entoure...il y a dans cette classe une multitude de points de vue, de cultures, d’histoires alors, bien sûr, il y a parfois des tensions, des frottements, des incompréhensions. Mais ceux-ci ne durent jamais longtemps car l’enseignante laisse une grande place au débat. On est impressionné par la maturité de ces jeunes : leur capacité à exprimer leur point de vue sur un bon nombre de sujets de société, et à écouter les arguments de chacun. La réalisatrice ne cherche pas à mettre en valeur une histoire, un élève plus qu’un autre. Les scènes s’enchaînent, et on entend plusieurs récits, notamment au cours des rendez-vous de parents ou tuteurs.

Tous les langages sont abordés au cours du documentaire. On repère d’une part les langages qui les séparent (le langage oral et écrit), avec le spectre des réactions des élèves face à la barrière de la langue, de l’extrême timidité à l’explosion de colère ; les langages qui les réunissent d’autre part : les temps de sport, les dessins qu’ils se présentent, l’écoute quasi religieuse des interprétations musicales de leurs camarades de classe. C’est dans ces autres langages qu’ils semblent le plus se retrouver, dans le « langage de leur âge » aussi, l’adolescence, avec son lot d’émotions universelles.
On voit d’ailleurs tout au long du film, les élèves travailler sur un projet vidéo (encore un autre langage) sur le thème de la différence. Son tournage est le fil rouge du documentaire :  des hésitations et tâtonnements du début, à sa présentation en festival à Chartres, on suit les émotions éprouvées par les adolescents à l’écoute des récits de leurs camarades, et la naissance de leur amitié.

Il y a de la vie dans ce film qui donne une haute idée de l’Ecole Républicaine. On s’attache à ces ados hors du commun et on a du mal à les imaginer se séparer à la fin de l’année. On a l’impression que pour une majorité d’élèves, la classe d’accueil est un cocon protecteur. Ils sont partagés entre l’envie de rejoindre la classe ordinaire et « être comme les autres » et la peur du regard des autres, de ne pas être acceptés (par les élèves ou les enseignants), de perdre une partie d’eux. Julie Bertuccelli a fait le choix de ne pas montrer ces élèves en dehors de l’école (à part en voyage scolaire) ou au contact des élèves des classes ordinaires.
On peut voir cette ellipse comme un manque, une utopie. Il est probable que la réalisatrice n’a pas voulu gâcher cette symbiose au sein de la classe d’accueil en montrant la « vie réelle », les difficultés administratives ou la cruauté auxquelles certains de ces jeunes auront à faire face, évoquées à certains moment du film. On préfère rester sur l’idée d’une chance laissée à ces élèves, en gardant l’espoir qu’ils réalisent dans ce pays les rêves qu’ils avaient dans un autre.

*élèves dont la langue française n’est pas la langue maternelle.

Réalisatrice :  Julie Bertuccelli (Depuis qu’Omar est parti…, L’arbre)
Musique : Olivier Daviaud
Société de production : Les films du poisson – ARTE France Cinéma – Sampek productions
2013