La minute culture des profs (spécial réglure Seyès)

Bienvenue dans ce nouvel épisode de la minute culture ! Aujourd'hui, on laisse de côté les vacances scolaires et la rentrée pour se pencher sur l'écriture, et en particulier l'histoire de la réglure Seyès.

Elément déclencheur :

"On écrit la date à 1 carreau et on saute une ligne !"
"Mais qu'est-ce que c'est que ces pattes de mouches ?"
"Le t monte jusqu'à la 2e ligne et le l monte jusqu'à la 3e ligne"...

Tout ces règles vous parlent bien évidemment puisque vous les pratiquez tous les jours ou presque en classe !
Mais pour l'immense majorité des français, toutes ces contraintes ne sont plus plus qu'un lointain souvenir, balayée par l'arrivée au collège. Chacun développe son propre style calligraphique, parfois très éloigné de la classique cursive, apprise sur les bancs de l'école.
Mais alors, pourquoi la réglure Seyès est-elle encore la norme en France ? Qui a l'a créée et a décidé qu'elle serait utilisée pour l'apprentissage de l'écriture ?

Sujet n°3 : pourquoi les Français apprennent-ils à écrire sur une réglure Seyès ?

Qu'est-ce qu'une réglure ?

La réglure est un ensemble de repères (lignes, points, carreaux) sur une feuille de papier permettant d'écrire ou éventuellement de faire des tracés réguliers.  
Les types de réglure sont nombreux et s'adaptent aux usages. Parmi les réglures les plus utilisées (en dehors de la réglure Seyès), on trouve :

  • La réglure lignée : souvent des lignes espacées de 7 à 8 mm, on les trouve dans les carnets de notes, le papier à lettres, les journaux intimes. Elles permettent une écriture fluide et rapide.
  • La réglure quadrillée : carreaux de 5 mm, sans lignes supplémentaires pour l'écriture. Elle est adaptée aux schémas, tableaux, graphiques, calculs mathématiques.
  • La réglure pointillée : points disposés à intervalles réguliers de 5 mm. Elle est utile pour les croquis techniques ou pour mettre en forme son bullet journal car elle offre une bonne flexibilité pour mélanger formes géométriques, écriture et diagrammes sur une même page.
  • Le papier millimétré (petits carreaux d'un millimètre, lignes et colonnes forcies tous les 5 mm) sert aux exercices de minutie (géométrie, tracés de graphiques). Avec l'arrivée de l'ordinateur, il est un peu moins utilisé.
  • La réglure blanche (papier uni) : est-ce vraiment une réglure ? C'est un papier libre, sans repères. Il est idéal pour tracer, dessiner, prendre des notes rapides ou pour les personnes qui ne veulent pas de contraintes de mises en page.
  • Le papier à musique qui présente des portées pour écrire la musique, parfois avec une ligne supplémentaire pour noter les paroles.

Et bien d'autres encore !

La plupart des écoliers dans le monde apprennent à écrire avec du papier réglé pour écrire droit, et avoir des repères dans l'espace de la feuille.

Qui a inventé la réglure Seyès et quelles sont ses caractéristiques ?

C'est assez incroyable, mais la réglure Seyès a été inventé par... Seyès. Vous ne vous y attendiez pas j'en suis sûre.

De son nom complet, Jean-Alexandre Seyès (1855-1937) est un libraire-papetier français. Certaines sources disent qu'il aurait volé l'idée à deux instituteurs marseillais... peut-être, mais dans tous les cas, c'est bien lui qui dépose un brevet le 16 août 1892 au tribunal de Pontoise.

N'est pas Seyès qui veut ! Il faut répondre à certaines caractéristiques, qui sont les suivantes :

  • Le papier est composé de carrés de 0.8 cm de côté (les "grands carreaux"), découpés horizontalement en quatre espaces de 0.2 cm de haut.
  • Chaque carré est davantage teinté que les lignes qui le composent.
  • Une marge est délimitée par une ligne verticale rouge qui laisse de la place au correcteur. Il n'y a pas d'autres lignes verticales dans la marge.

Pour ceux qui aiment tout compter, sachez que sur une feuille A4, on compte 21 carreaux complets par ligne et 29 carreaux complets par colonne, soit 609 carreaux.

Pourquoi le lignage Seyès s'est-il imposé en France ?

D'autres pays utilisent des papiers à quadrillage qui ressemblent au Seyès pour les écoliers. Mais il n'y a qu'en France que ce type de papier, très normé et précis, a été adopté par l'ensemble des écoles primaires (ou l'immense majorité). Après tout, qu'est-ce qui nous empêcherait d'utiliser une autre réglure ?

C'est encore une histoire liée aux Lois Jules Ferry, tout ça ! A la fin du XIXe siècle, l'école devenant gratuite et obligatoire, un plus grand nombre d'enfants se retrouve dans les salles de classes. Dans l'école de la IIIe République, on accorde beaucoup d'importance à l'écriture manuscrite, la belle calligraphie... C'est un peu la "vitrine" de l'école qui forme des écoliers modèles.
D'une part, les enseignants cherchent un moyen efficace pour apprendre aux élèves à former leurs lettres et avoir une belle écriture. D'autre part, qui dit plus d'élèves dit multiplication des méthodes : le besoin d'uniformiser l'apprentissage de l'écriture commence à se faire sentir.

C'est à ce moment qu'arrive notre Monsieur Seyès et son invention qui répond aux besoins d'écriture de l'époque, à savoir :

  1. Ecrire droit : les lignes horizontales donnent un guide.
  2. Former correctement ses lettres : les interlignes permettent de donner des repères de hauteur pour les différentes lettres. Les lettres sans hampes ni jambages (o, a, e...) tiennent dans un interligne. Les hampes des lettres mesurent 3 interlignes pour les l, les b, et deux pour les d et les t ; les jambages des lettres basses descendent jusqu'à la 2e interligne sous la ligne d'écriture ; etc. Les lignes verticales donnent un repère pour éviter que l'élève n'écrive trop en italique.
  3. Permettre une bonne lisibilité : la couleur des lignes est choisie pour que l'écriture reste la plus visible. En général les lignes sont dans un bleu ou violet pâle. Si toutes les lignes étaient noires, ce serait fatigant pour l'oeil. Les lignes horizontales sont aussi assez espacées pour éviter que les hampes et jambages de deux lignes d'écriture ne se chevauchent.
  4. Donner des repères sur la feuille : la marge est dédiée à la correction ; on commence à écrire en haut à gauche de la marge. La couleur ou l'épaisseur des lignes horizontales permettent de différencier lignes principales et lignes secondaires. Les carreaux donnent des éléments pour s'organiser dans la page ou savoir où commencer à écrire.
  5. S'adapter à d'autres pratiques : le quadrillage permet de faire du repérage dans l'espace, de construire des figures, des frises... (même si les petits carreaux sont plus adaptés).

A la fin du XIXe siècle, l'Education Nationale fait paraître des notes régularisant le carreau Seyès pour les cahiers français. La règlure Seyès devient un standard des papeteries, qu'on continue d'utiliser par habitude et parce qu'il est facile à trouver, depuis des générations.

Et voilà comment ce lignage a traversé les époques sans grandes modifications. Il reste un support intéressant pour accompagner les élèves dans les premiers gestes d'écriture et de repérage dans l'espace.

Les limites de la réglure Seyès

La réglure Seyès n'est pas sans défaut. Le principal étant qu'elle oblige à écrire petit, alors que lorsqu'un écolier découvre l'écriture, il aura tendance à écrire gros : il est difficile au départ de contrôler son geste et de respecter les interlignes.

Les enseignants d'aujourd'hui font preuve de plus de souplesse qu'à la fin du XIXe siècle : désormais beaucoup de CP ne commencent pas à écrire sur du Seyès, mais sur une version simplifiée avec moins de lignes, ou bien une version Seyès avec des interlignes plus larges (3/4 mm).

Ce qui est drôle dans cette histoire, c'est que les "pattes de mouche" que certains professeurs vous ont peut-être reprochées, seraient en partie liées à l'utilisation de la réglure Seyès.

Ce type de réglure peut aussi être un cauchemar pour les élèves qui ont des soucis de motricité fine ou de repérage dans l'espace, tellement il est fourni en (toutes petites) lignes. D'autres lignages gagnent du terrain depuis quelques années, comme les lignes de feu, terre, herbe, ciel ou le lignage Gurvan.

Enfin, même si les carreaux sont pratiques, ils ne le sont pas tant que ça en mathématiques puisqu'ils ne sont pas d'une taille "standard" correspondant à un cm ou 5 mm. Faire une construction géométrique sur du papier Seyès peut vous laisser les yeux aussi rougis qu'un lapin atteint de myxomatose.

La vidéo ci-dessous détaille les différentes limites de ce lignage et propose des solutions alternatives :

Une majorité d'adultes n'utilisent plus le lignage Seyès dans leur vie de tous les jours, et ne suivent plus les règles d'écriture apprises à l'école. On peut dès lors se demander si cette réglure traverse les générations pour son côté pratique, ou parce qu'elle est culturellement intégrée au patrimoine français... probablement un peu des deux !

Comment ça se passe ailleurs ?

Dans certains pays, la question ne se pose même pas : le manque de moyens ne permet pas d'avoir des cahiers avec des réglures et l'écriture se fait sur des ardoises ou des papiers libres.

Les réglures majoritairement utilisées dans un pays sont souvent liées à un autre débat, à savoir : doit-on apprendre l'écriture cursive avant de passer à l'écriture scripte, ou faut-il apprendre directement l'écriture scripte ? L'Angleterre, les Etats-Unis, ou encore la Finlande sont des exemples de pays qui ont tranché : les élèves n'apprennent plus l'écriture cursive.

Dans un très grand nombre de pays, dont les 3 cités ci-dessus, les écoliers utilisent majoritairement le lignage college ruled, avec de simples lignes espacées de 7 ou 8 mm. On retrouve tout de même la marge rouge, appelée French ruled par les anglo-saxons.

Il existe aussi des réglures intermédiaires entre le Seyès et le college ruled. Par exemple, en Allemagne, les élèves apprennent à écrire dans des sortes de bandes blanches à 3 interlignes, qui évoluent peu à peu vers une écriture en lignes, comme l'explique la vidéo ci-dessous :

Enfin, les réglures sont évidemment liées à l'alphabet et au sens d'écriture utilisés dans certains pays. Le Genkō yōshi (papier manuscrit) est par exemple utilisé par les Japonais. C'est une feuille présentant 200 à 400 carreaux servant à écrire des caractères ou des signes de ponctuation.
On imagine aussi que la marge qui est à gauche dans les pays occidentaux, n'est pas forcément la plus adaptée dans les pays où les écoliers écrivent de droite à gauche.

Sources