Une nouvelle année scolaire se profile, et pour l'occasion, on vous propose d'aborder quelques oeuvres d'art en rapport avec l'école. Cependant, dans le domaine de l'image, les choses évoluent. Depuis quelques mois, vous aurez peut-être remarqué à quel point les images générées par IA ont envahi nos vies. Nous avons choisi d'aborder deux points en un : des représentations de l'école dans l'art, et des conseils pour différencier les oeuvres "humaines" des oeuvres réalisées par une intelligence artificielle.

Depuis quelques mois, la diffusion d'images et vidéos générées par IA a pris de l'ampleur. La qualité et la vraisemblance des images a aussi beaucoup évolué, et il devient parfois difficile de savoir lesquelles sont générées artificiellement. En tant qu'enseignant, vous allez être amenés à développer votre propre sens critique dans la recherche d'images, afin de former également vos élèves à discerner le vrai du faux. Une image n'est jamais anodine...

On vous propose un petit jeu, que vous pouvez faire vous-même ou proposer à vos élèves : ci-dessous, vous allez observer 15 oeuvres d'art en lien avec l'école primaire ou l'éducation. Posons le cadre : il s'agit d'oeuvres majoritairement créées par des artistes français, ou occidentaux, du Moyen-âge au XXe siècle, tombées dans le domaine public. Vous pouvez y trouver des enluminures, des peintures, des gravures, des dessins ou des photographies. Sauf que 4 "fausses" oeuvres ont été glissées dans le lot. Saurez-vous les reconnaître ?

Les nominés au concours des oeuvres d'art liées à l'école sont :

  1. "On avait dit : tenue appropriée pour l'école"

2. "Quand on arrive en bas d'une page, on tourne la page".

3. "J'espère vivement que nous pourrons bientôt ouvrir une nouvelle classe"

4. "J'aurais peut-être dû faire bûcheron, finalement".

5. "Emilien ne voulait vraiment pas partager son goûter avec les autres".

6. "I came in like a wreeeeecking baaaaall"

7. "Secrètement, les enfants rêvaient de quitter Cherbourg".

8. "Si tu cherches une bonne adresse de Bretzels, c'est là".

9. "Depuis qu'on avait opté pour de grandes tablées serrées, les enfants bougeaient beaucoup moins".

10. "Gervaise se préparait intensément au concours de lecture à voix haute".

11. "L'enfant passait beaucoup de temps à enlever les toiles d'araignées dans les coins."

12. "A la fin de la semaine sans écrans, les enfants commençaient enfin à se découvrir de nouvelles passions".

13. "Tu tires ou tu pointes ?"

14. "L'élève essayait de déconstruire sa pensée".

15. "Les cours de M. Tartampion n'étaient jamais vraiment passionnants".

Pour vous aider, les images sont classées en ordre chronologique (du moins, ordre chronologique supposé pour les images artificielles). Les titres des oeuvres sont évidemment inventés.

Les réponses se trouvent en-dessous...

...

.....

..........

....................

Réponses au jeu :

Les oeuvres n°2, 11, 13, 15 ont été réalisées avec ChatGPT.
Alors, aviez-vous reconnu les "faux" ?

Sources des images :

  1. Codex Manesse (1310 - 1340)
  2. Image générée par IA. Le prompt demandait de générer un tableau dans le style de Jean-Siméon Chardin, montrant deux enfants richement habillés du XVIIIe siècle apprenant le latin avec un Jésuite comme professeur.
  3. Ecole chrétienne à Versailles, Antoinette Asselineau (1839)
  4. Scène de classe, Léopold Chibourg (1842)
  5. Ecolier, André-Henri Dargelas (1870)
  6. Le tour du Monde, André-Henri Dargelas
  7. Sur le chemin de l'école, Pierre-Edouard Frère (1874)
  8. La leçon de géographie ou La Tache noire, Albert Bettanier  (1887)
  9. En classe, le travail des petits, de Jean Geoffroy (1889)
  10. A l'école, Auguste Truphème (1892)
  11. Image générée par IA. Le prompt demandait une gravure dans le style d'Honoré Daumier, montrant un élève puni dans un coin d'une classe française du XIXe siècle.
  12. Garçons jouant à la toupie dans la classe, Charles Bertrand d’Entraygues
  13. Image générée par IA. Le prompt demandait une aquarelle dans le style de Marie Laurencin, montrant des garçons jouant aux billes sur une cour d'école française, en insistant pour que tous n'aient pas les mêmes postures et attitudes et avoir une impression de mouvement.
  14. L'écolier, Albert Gleizes (1925)
  15. Image générée par IA. Le prompt demandait une photographie dans le style de Robert Doisneau, montrant un garçon baillant et d'autres garçons s'ennuyant durant un cours dans une classe d'école français du milieu du XXe siècle (avec une pendule indiquant 11h30 sur le mur du fond).

Quelques précisions sur le corpus d'oeuvres présentées : Beaucoup d'oeuvres en lien avec l'école datent du XIXe siècle. En 1830 est sortie la Loi Guizot. Cette loi organise l'enseignement primaire en suivant les principes suivants :

  • On peut exercer la profession d'instituteur primaire, à condition d'obtenir un brevet de capacité après un examen
  • Chaque département doit créer des écoles normales pour former les instituteurs
  • Chaque commune doit entretenir au moins une école élémentaire.

Les oeuvres de cette époque peuvent soit représenter sérieusement l'enseignement à cette époque (oeuvre n°3), mais une partie se moque de cette nouvelle loi où des écoles sont ouvertes "avec les moyens du bord" dans certaines communes, comme dans l'oeuvre n°4.

Mais la majorité de la production date de l'époque de la IIIe République. Cela coïncide avec les lois Jules Ferry de 1881-2 (école obligatoire, laïque et gratuite) et la volonté de célébrer l'école de la République en la représentant comme un lieu studieux et cadré (oeuvre n°9), et comme le lieu où se transmettent les valeurs patriotiques. Par exemple, dans le tableau "La tache noire" (oeuvre n°8), Bettanier insiste sur l'annexion récente de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne et on devine sa volonté de la "récupérer".

Au XXe siècle, les oeuvres d'art reprennent davantage la "scène de genre" où les élèves sont représentés dans leur quotidien : sur le chemin de l'école, en train de jouer sur la cour, punis dans un coin, etc.

Comment mieux identifier les images générées artificiellement au quotidien?

Des mentions utiles

Dans certains cas, l'identification est très rapide : une icône IA apparaît dans un coin de l'image, ou une mention (par exemple "made by IA") est faite dans la légende de la photo.

Malheureusement, la plupart du temps les images sont partagées et re-partagées, et la mention se perd. Ou bien, aucune mention n'est faite quand l'image est mise sur internet. Dans ce cas, il va falloir mener l'enquête et ouvrir l'oeil...

Utiliser des outils techniques de vérification

Vous pouvez vérifier la provenance d'une image et remonter à sa source, en la déposant sur Google Images ou TinEye par exemple.

Par exemple, pour l'image 1, j'ai juste importé la photo sur Google Images sans précisions supplémentaire : je vois très vite qu'il s'agit d'une véritable oeuvre, avec des précisions rapides sur le contexte, et même le lien vers la page Wikipedia d'où provient le fichier.

D'autres outils numériques permettent aussi de détecter des images IA en fournissant un pourcentage de probabilité que l'image soit artificielle. C'est le cas, par exemple, d'Illuminarty.

Enfin, une photographie a normalement des métadonnées (données EXIF) donnant des indications sur l'appareil photo, la date de la prise de vue, etc. Les images générées par IA n'auront pas ce type de métadonnées. Des outils en ligne vous permettent de récupérer les métadonnées des photos, par exemple Metadata2go.

Repérer des indices montrant que l'oeuvre d'art est "palpable".

Si certaines oeuvres parviennent jusqu'à nous, c'est qu'une personne les a photographiées à un moment donné. La photographie ne permettra jamais d'appréhender l'oeuvre en live, car le rendu peut changer en fonction de la lumière, du talent du photographe, de la distance entre le photographe et l'oeuvre, etc. Ce que vous regardez, ce n'est pas l'oeuvre, mais l'image de l'oeuvre.

En prêtant attention, on peut repérer des signes montrant que l'oeuvre existe physiquement et qu'elle a été prise en photo. Cela est très visible avec les images 3, 4, 10. La lumière qui provient du haut met en valeur la rugosité ou les plis de la toile, ou se reflète sur certaines parties des tableaux. Sur l'image 3, on peut même deviner que la photographie a été prise légèrement à droite du tableau et du bas, car le côté gauche est déformé.

De même, un humain, même très maniaque, ne peut pas reproduire toujours de la même manière, le même geste. S'il fait un dessin, il fera plus ou moins pression sur son crayon, avec des lignes plus ou moins épaisses. S'il fait de la gravure, il creusera des sillons plus ou moins profonds ou épais.

Pour l'image 11, j'avais demandé une gravure. Au final, cela ressemble plus à un dessin : l'IA a du mal à rendre correctement la gravure. Vous obtiendrez quasiment toujours un résultat peu naturel, comme dans l'image ci-dessous.

Image générée par IA sur Microsoft Designer

Là où cela se complique, c'est qu'un humain peut très bien réaliser une oeuvre d'art numérique, en dessinant sur une tablette graphique par exemple ! Cette vérification ne fonctionne donc que pour les oeuvres d'art physiques.

Faire la chasse aux approximations et défauts liés à l'IA

Les formes complexes posent problème à l'IA : les mains, la proportion des parties du corps, le regard... Ceux qui ont testé les débuts de la génération d'images artificielles se sont bien marrés devant des mains à 6 doigts et des yeux qui partent en cacahuètes. Seulement, la machine se perfectionne : désormais, il faut parfois avoir un oeil bien entraîné pour repérer ce qui cloche.

Dans l'image 2, à première vue, on ne trouve pas vraiment d'incohérences... mais en regardant bien, il manque un doigt à la main gauche du garçon, et deux doigts de la main droite de la fille paraissent avoir fusionné. La taille des mains n'est pas proportionnelle au visage également.
Dans l'image 13 aussi, il y a quelques mains étranges, et le personnage du fond semble avoir le torse inversé par rapport aux pieds, mais cela pourrait être le style de l'artiste...
Dans l'image 15, je veux bien que le garçon qui baille soit avachi, mais de là à perdre entièrement son cou et à s'en déformer le bras droit...

Les écritures sont aussi difficiles à générer. Vous obtiendrez souvent des semblants d'écriture, qui ressemblent à ce que font les enfants de maternelle quand ils disent "j'écris !" : comme sur l'image 2, ou le cahier de gauche dans l'image 15. Dans d'autres cas, vous aurez l'impression de voir des lettres, mais floues, comme vues par un astigmate.

Dans le jeu, il était facile d'identifier certaines oeuvres comme humaines car un bon nombre contenaient des signatures d'artistes lisibles (images 5, 6, 7, 8, 10, 12). Pour les oeuvres générés par IA, bien souvent il n'y a pas de signature, ou alors un "simulacre" de signature dont les lettres ne sont pas identifiables.

Cependant, ça ne marche pas à tous les coups : dans l'image 15, les chiffres de la pendule sont impeccables... sauf que j'avais demandé 11h30 (mais ça, vous ne pouviez pas le savoir). Comme il existe un très grand nombre d'images représentant des pendules avec chiffres sur Internet, l'IA est capable de générer une pendule à chiffres sans erreur. De même, si vous demandez explicitement un texte dans votre description, l'IA peut réussir à produire quelque chose de (presque) lisible, mais pas naturel pour autant :

Image générée artificiellement sur ChatGPT en demandant explicitement d'écrire cette phrase.

Enfin, cherchez le petit détail bizarre, qui vous mettra la puce à l'oreille... Des incohérences, des parties floues, des objets deformés, des ombres qui ne correspondent pas à la source de lumière, des éléments asymétriques ou flottants dans l'espace. En voici quelques exemples :

  • Pour l'image 2 : que représentent ces bouts de papier à côté du livre ? Pourquoi il n'y a pas de boutons sur la veste de la petite fille ?
  • Pour l'image 11 : La position des tables par rapport au mur, et l'angle du mur sont étranges. Pourquoi le tableau est si petit, et positionné derrière les élèves ? Sous le bras du professeur, où est assis l'élève ?
  • Pour l'image 15 : normal qu'il soit avachi cet élève, il n'a pas de chaise, et sa table est collée aux 2 tables de derrière... Et quel étrange stylo !

Je suis sûre que vous n'aviez pas vu tous ces détails au départ, mais maintenant vous vous dites "mais oui !"

Repérer le style de l'IA

L'IA se nourrit des images qu'on lui donne. Et très souvent, quand on poste une image, on aime montrer le meilleur côté de nous-mêmes ou de la situation... Les images générées par IA sont souvent très lisses, très propres, avec les mêmes palettes de couleur. On ne voit pas les pores de la peau, les personnages font souvent un peu les mêmes gestes, la composition de l'oeuvre manque d'originalité. Il y peu de diversité, ou s'il y en a, les personnages sont souvent stéréotypés.
Il est parfois difficile de mettre le doigt dessus, mais l'image peut dégager une impression étrange, peu naturelle, tout simplement. Vous "sentez" que ce n'est pas un humain qui l'a fait.

Dans les images que j'ai générées par IA, on voit pourtant que les attitudes des personnages varient, qu'ils ont des rides, on voit quelques cheveux décoiffés par-ci par-là... mais c'est parce que je l'ai décrit précisément dans les prompts et que j'ai fait plusieurs essais avant d'obtenir quelque chose de crédible.

Ci-dessous, voici mes premiers essais (dans mes premiers prompts, je demandais un enfant qui se curait le nez, c'est mon côté farceur) : c'est déjà plus rigide, uniforme et lisse... et cette lumière, elle fait une peau incroyable !

Utiliser ses connaissances personnelles pour repérer les inexactitudes

Comme on le disait, la machine connaît ses défauts et se perfectionne. D'ici quelques années, peut-être quelques mois, les conseils que je donne ici n'auront peut-être plus de valeur, car ils auront été corrigés.

Aujourd'hui, et peut-être encore plus demain, vous ne pourrez peut-être plus compter que sur votre culture pour démêler le vrai du faux. Être capable de repérer les anachronismes, avoir de solides connaissances dans un peu tous les domaines pour juger de la crédibilité de l'image, faire appel à des outils techniques ou des experts...

Pour les oeuvres IA de la liste, voici quelques éléments anachroniques qui auraient pu vous mettre la puce à l'oreille :

  • Image 2 : Je ne suis pas sûre que l'habit du Jésuite et les vêtements des enfants, pour le XVIIIe siècle, soient corrects... mais je ne suis pas assez calée pour l'affirmer !
  • Image 15 : il y a une fille dans la classe alors qu'à l'époque de Doisneau, les écoles n'étaient pas encore mixtes. Les habits portés par les enfants se ressemblent tous (des pulls noirs), alors que dans les photos de Doisneau, ils portent plutôt des chemises ou des vestes. La pendule sur le mur paraît très moderne. Et des cours à 7h38 ? Bizarre !

Voilà, j'espère que cet article vous aura permis de découvrir quelques oeuvres d'art en lien avec votre prochaine rentrée scolaire... et vous aura donné quelques éléments de réflexion pour être capable d'identifier les fausses oeuvres d'art qui fleurissent un peu partout sur la toile en ce moment !