Nouveaux programmes 2018. Qu’est-ce qui change ?

Cela n'a échappé à personne, le 27 juillet dernier, des ajustements aux programmes de français, mathématiques et éducation morale et civique pour les cycles 2, 3 et 4 ont été votés, pour une mise en application dès cette rentrée.
Nous en avons fait le tour afin de vous faciliter un peu la tâche. Voici une synthèse des principaux changements qui nous ont parus significatifs.

Orientations générales

D’une manière générale, on constate la disparition des repères de progressivité de tous ces nouveaux programmes. Le Ministère a annoncé la publication de repères annuels prochainement. Derrière cela, c’est la logique de cycles des programmes 2016 qui est questionnée, au profit d’un prochain retour à des progressions annuelles officielles.
Au cycle 2 comme au cycle 3, la primauté des savoirs fondamentaux est réaffirmée de manière forte, comme en témoigne d'ailleurs la lettre de rentrée du ministre. Au cycle 2, dans le volet 1 le sous-titre « les élèves ont le temps d'apprendre » est remplacé par « l'acquisition des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui) est la priorité ». Une substitution lourde de sens.

Français

C'est dans ce domaine qu'il y a le plus de changements notables. Parfois ce ne sont que quelques mots enlevés, ajoutés ou substitués mais certaines transformations méritent que l'on réfléchisse au sens à leur donner.

Lecture

En lecture, en cycle 2, le CP prend une place prépondérante dans l'acquisition de la lecture. Les programmes explicitent ce que signifie l’apprentissage du code et affirment la place de la copie dans ce processus. Ces assertions sont à mettre en parallèle avec les recommandations du guide orange « Pour enseigner la lecture et l'écriture au CP. », mis en ligne par le ministère l'année dernière.

La notion d'automatisation est très présente dans ces ajustements (19 occurrences) : « automatisation de l'identification des mots », « automatisation du code alphabétique », « automatisation progressive », etc. D'ailleurs, ces nouveaux programmes nous affirment que désormais « l'automatisation du code alphabétique doit être complète à la fin du CP ».

Au cycle 2, la lecture à haute voix devient une « activité centrale » et on parle d'« entrainement quotidien à la lecture silencieuse et à haute voix » en cycle 3.

La dictée, très présente au cycle 2 (10 occurrences), devient un exercice prépondérant en lecture au cycle 2 : « dictée de syllabes », « dictées quotidiennes ».
Au cycle 3, c'est le lien entre lecture et écriture qui est réaffirmé : « la lecture doit permettre l'observation, l'imitation et le réinvestissement dans l'écriture ».

La compréhension en lecture connait une moindre importance dans les ajustements du cycle 2. En revanche, des précisions y sont apportées au cycle 3. Une nouvelle compétence fait son apparition : « être capable de s'engager dans une démarche progressive pour accéder au sens ». Des exemple d'activités explicitent cette formulation un peu générique : « identification de la nature et de la source des documents », « apprentissage explicite de la mise en relation des documents associant plusieurs supports (texte, image, schéma, tableau, graphique) ». Ces ajustements nous précisent également le type d'œuvre à privilégier dans le cadre de ce travail sur la compréhension en cycle 3 : « œuvres du patrimoine et de littérature de jeunesse, textes documentaires ».

Les lectures personnelles, aussi qualifiées de « lectures de plaisir » deviennent un moyen de créer du lien entre l'école et la famille. Les élèves de cycle 3 sont d'ailleurs encouragés à se constituer des outils pour conserver la mémoire de leurs lectures : « cahiers ou carnets de lecture, anthologies personnelles, portfolios ». Elles doivent également faire « l'objet de discussion sur des temps de classe ».

Écriture

Au cycle 2, on peut noter la place très importante de l'activité de copie (22 occurrences) pour « entrainer les élèves aux gestes d'écriture et favorise(r) la mémorisation orthographique des mots ». Il est préconisé de « lui donner toute sa place tous les jours ». Copie active, retournée, au verso, différée, retournée... au cycle 2 comme au cycle 3, les exemples ne manquent pas.

Le terme « production d'écrits » disparait pour redevenir « rédaction de textes » au cycle 2 et « écriture »au cycle 3. Derrière cette substitution, on peut noter un subtil changement de posture : au cycle 3, « l'écriture créative » devient « l'écriture libre et autonome » et les élèves, au lieu d'affirmer leur « posture d'auteur » comme dans les programmes de 2016, « s'engagent davantage dans la pratique d'écriture ».

Si la notion de dictée à l'adulte, bien que discrète, est toujours présente au cycle 2 (« propos transcrits par l'enseignant »), elle disparait du cycle 3, où elle était précédemment conseillée pour les élèves en ayant besoin. En revanche, il faut noter un nouveau paragraphe au cycle 3, qui insiste sur le « regard positif du professeur », l'encouragement de l'élève, les « situations motivantes, porteuses de sens », la « collaboration » , « le plaisir » et « la curiosité ».

L'écriture doit désormais être pratiquée de manière « quotidienne » au travers d'« exercices d'entrainement » pour développer des « automatismes » au cycle 2. Cette notion de régularité de l'entrainement est également très présente au cycle 3, notamment au travers de la pratique des « écrits de travail » et des « écrits courts ».

Enfin, ces ajustements réaffirment le « lien entre la rédaction de texte et l'étude de la langue » : on parle de « lien avec les leçons de grammaire » en cycle 2, de « prolongement des leçons de grammaire et de vocabulaire » et de « séances spécifiques » entretenant « un lien fort entre écriture, grammaire et orthographe » en cycle 3.

Etude la langue

Dès l'introduction, aux cycles 2 et 3, un nouveau paragraphe rappelle que « l'étude de la langue est une dimension essentielle de l'enseignement du français » et « requiert un enseignement spécifique, rigoureux et explicite » au cycle 3. Les bases sont posées.

Au cycle 2, ces « séances spécifiques », aussi appelées « leçons de grammaire et de vocabulaire », impliquent de « nombreux exercices d'entrainement ». On parle beaucoup de « dictées quotidiennes », de « rituels fondés sur la répétition », de « mémoriser les compétences », d'« automatiser les acquis », de « copie » et de « formulation des règles ». En revanche, la collecte de mots, encouragée dans les programmes de 2016, n'est plus mentionnée, ainsi que la notion de jeu.
Au cycle 3, ce sont les « dictées régulières » et les « écrits » qui sont préconisés pour favoriser la mémorisation et « la vigilance orthographique ».

Au cycle 3, le classement des compétences a fait l'objet de changements avec de nouvelles catégories :
- Acquérir l'orthographe grammaticale.
- Enrichir le lexique.
- Acquérir l'orthographe lexicale.

Sans réapparaître officiellement dans l'arbre des disciplines, la « conjugaison » est tout de même évoquée à trois reprises dans les programmes de cycle 2, notamment en référence aux « tableaux de conjugaison », mais pas en cycle 3. L'étude des temps du verbe reste donc un sous-élément de l'orthographe grammaticale.
Au cycle 3, le passé simple et le plus-que-parfait doivent être « mémorisés » et non plus seulement abordés, et ce à toutes les personnes au lieu des seules 3èmes personnes du singulier et du pluriel, comme c’était le cas dans les anciens programmes. La connaissance explicite des trois groupes fait à nouveau partie du bagage d'un élève de cycle 3

En cycle 3, la terminologie à utiliser est précisée. Là encore, on constate un retour aux termes utilisés avant 2016 :  le prédicat disparaît et marque le grand retour des COD, COI et CC. L’adjectif redevient « attribut du sujet » ou « épithète », les termes « nature » ou « fonction » d’un mot sont à nouveau utilisés. Les notions de « nature ou classe de mot » et de « fonction » sont réintroduites. Les termes « proposition », « juxtaposition », « coordination » et « subordination » reviennent également. Enfin, en lexique, « l'antonymie » et « l'homonymie » doivent être abordées.

Dernier détail, et non des moindres, la référence à la réforme de l'orthographe de 1990, présente dans les programmes de 2016, a disparu de ces ajustements.

Mathématiques

Les nouveaux programmes de mathématiques sont en continuité avec les programmes de 2016 et ne connaissent pas de changement majeur dans les compétences.
Au cycle 2 comme au cycle 3, les orientations générales sont maintenues, notamment le rôle central de la résolution de problèmes.

Rapport Villani-Torrosian

Le rapport Villani-Torossian (21 mesures pour l'enseignement des mathématiques), paru en février 2018, apporte un nouvel éclairage sur les recommandations de l'introduction :

  1. Réaffirmation du rôle des manipulations : au cycle 2, en espace et géométrie, « les compétences et connaissances de fin de cycle se construisent à partir de manipulations et de problèmes concrets ». En cycle 3, on parle de « situations basées sur des manipulations ».
  2. Plus grande place de la verbalisation et de l'oral : au cycle 2, il tient désormais « une grande place dans l'enseignement du cycle » et non plus seulement au CP, comme en 2016. Les « échanges d'arguments entre élèves » sont encouragés. Au cycle 3, « la verbalisation reposant sur une syntaxe et un lexique adaptés est encouragée et valorisée en toute situation ».
  3. Nécessité de l’institutionnalisation des connaissances et des traces écrites : au cycle 2, sont évoquées des « formes conventionnelles institutionnalisées dans les cahiers par des traces écrites ». Tandis qu'au cycle 3, « l'institutionnalisation des savoirs dans un cahier de leçon est essentielle ».
  4. Acquisition d’automatismes procéduraux et  mémorisation progressive de résultats : toujours bien présente dès le cycle 2, elle passe notamment par « la pratique quotidienne du calcul mental ». Au cycle 3, elle vise à « consolider l'automatisation des techniques écrites de calcul ».
  5. Familiarisation avec les quatre opérations de calcul : elle commence désormais dès le CP « à partir de problèmes qui contribuent à leur donner du sens », notamment en grandeurs et mesures. A ce sujet, au cycle 3, il est ajouté que « les grandeurs font l'objet d'un enseignement structuré et explicite ».
  6. Lien entre les mathématiques et les autres disciplines : au cycle 2 comme au cycle 3, les problèmes doivent le plus souvent être « issus de la vie de classe, de la vie courante » ou « de situations rencontrées dans d'autres enseignements ». Au cycle 2, c'est le lien avec « Questionner le monde » qui revient le plus souvent. Tandis qu'au cycle 3, on parle de « mise en perspective historique de certaines connaissances » qui « contribue à enrichir la culture scientifique des élèves ».

Le changement se situe ailleurs...

Au niveau des compétences, on constate peu de changements, si ce n'est la disparition de la colonne « Exemples de situations, d'activités et de ressources pour l'élève ». Ils ont été réintégrés pour la plupart au sein des compétences, ce qui apporte une réelle clarification des programmes. Au cycle 3, quelques précisions sont ajoutées, notamment sur les fractions, ou encore en espace et géométrie.

Mais comme le souligne Rémi Brissiaud dans un article du Café Pédagogique, le 25 juin 2018, le changement se situe ailleurs... La parution, en 2018, du document « Quelles compétences et quelles connaissances doit-on attendre d'un élève à la fin de son CP ? Repères pour les mathématiques. » introduit un nouveau type de document annuel, qui réinterroge, encore une fois, la logique de cycle des programmes de 2016. D'autres repères annuels devraient voir le jour pour les autres niveaux. Affaire à suivre donc.

Enseignement moral et civique

Une réorganisation des contenus qui en dit long.

Une nouvelle architecture

Les compétences sont similaires à celles de 2016 mais ont été reclassées de manière totalement différentes. En 2016, l'EMC était structurée en quatre "cultures" : la sensibilité, le droit et la règle, le jugement et enfin l'engagement. En 2018, les compétences et connaissances ont été refondues en trois finalités, déclinées pour chaque cycle : respecter autrui, acquérir et partager les valeurs de la République, construire une culture civique (dont sont désormais partie prenantes les quatre "cultures").

De nouvelles finalités

Dans l'introduction, les finalités de l'EMC sont exposées de manière générale. On peut noter une explicitation de ce qu'est la morale, le respect d'autrui et les valeurs de la République, qui semblent être les nouveaux piliers de l'EMC.
Cela n'aura d'ailleurs échappé à personne que « respecter autrui » est entré en 2018 dans le cercle très privé des savoirs fondamentaux, aux côtés de « lire, écrire et compter » (voir volet 1 des nouveaux programmes de cycle 2 et 3). D'ailleurs, le très grand nombre d'occurrences des termes « respect » (59 fois, contre 22 dans les programmes de 2015), « valeurs » (45 occurrences, contre 28 en 2015) et « règles » (28 occurrences, contre 7 en 2015) témoignent du nouvel esprit des programmes d'EMC. A l'inverse, « coopération » n'apparait plus que 5 fois (contre 10 en 2015) et « tolérance » 1 seule fois (4 fois en 2015).
Dans l'introduction, on peut noter la disparition d'expressions telles que « une école à la fois exigeante et bienveillante qui favorise l'estime de soi et la confiance en soi, condition indispensable à la formation de leur personnalité ». A la place, les nouveaux programmes préfèrent citer le Code de l'éducation qui affirme que « la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».

Un nouvel enseignement

Dans la seconde partie de l'introduction, intitulée « modalités pratiques et méthodes de l'enseignement moral et civique », on nous précise que l'EMC requiert « l'acquisition de compétences et connaissances (...) et donne lieu à des traces écrites et à une évaluation », tandis que les programmes de 2016 préconisaient la « mise en activité des élèves ».
La colonne présentant les exemples de mise en œuvre a été remplacée par les « objets d'enseignement ».
Ces nouveaux programmes ne partent donc plus vraiment de l’expérience des élèves mais présentent une liste de compétences et de notions à maitriser.

Ne voit-on pas ici se dessiner un enseignement qui se rapproche de l'instruction civique telle qu'on la connaissait avant les programmes de 2016 ?