L’auteur nous prévient dès la quatrième de couverture : « ce livre a l’air sérieux mais […] vous allez vous retrouver en train de proférer des insanités ». C’est vrai que cet album ne correspond pas à l’idée qu’on peut se faire d’un livre jeunesse : il ne raconte pas une "belle histoire" (on y trouve les mots « nigaud » et « débile », ça, c’est dit) et vous aurez l'air un peu ridicule en le lisant…mais personnellement, il m’a beaucoup aidée auprès des élèves en difficultés de lecture.

Le livre sans images est un album plein de surprises, qui vous permettra de voir toutes les gammes des émotions sur le visage de vos élèves ! Une seule condition : jouer le jeu et ne pas avoir peur du ridicule. Plus vous en rajouterez, mieux ce sera ! Vous pouvez sortir vos talents de comédien et d’humoriste cachés.  

Voici comment se déroule (en général) la lecture...

Vous présentez l’album à la couverture austère à vos élèves et essuyez les soupirs de déception à la lecture du titre. Certains de vos élèves commencent déjà à bouder et à se ronger les ongles.

Vous commencez la lecture de ce que j’appellerais « la partie sérieuse ». Vous lisez le texte écrit noir sur blanc de votre ton le plus solennel. Vos élèves soupirent et commencent à se tortiller sur leur chaise en regardant les mouches voler.
Quand soudain…élément perturbateur ! La lecture classique et ennuyeuse laisse place à des onomatopées disséminées dans le récit. Le style de la police d’écriture change et la couleur apparaît. Vos élèves lèvent un sourcil de surprise et se regardent timidement pour savoir s’ils sont les seuls à s’être aperçus que quelque chose cloche.


A partir de là, tout va empirer. Ce ne sera plus la peine de chercher un quelconque sens à l’histoire…Obligé, en bon enseignant, de lire tout ce qui est écrit, vous êtes entraîné à raconter n’importe quoi : bruits divers, dialogue entre votre côté raisonnable et votre côté farfelu, chansons, imitations d’animaux ou de robots…jusqu’à une explosion de textes colorés façon BD. Si vous vous êtes donnés à fond, vos élèves explosent de rire à chaque nouvelle page en ayant oublié toute retenue.

Les dernières pages sont un « retour à la normale » qui vous permet de retrouver une contenance et un climat légèrement plus apaisé et quand vous direz « fin », vos élèves s’écrieront :  « ho, noooooon ! »

Exploitation pédagogique :

Cet album est bien construit pour faire rentrer les élèves dans la lecture. Je ne l’ai jamais lu à une classe entière, mais c’était un de mes livres préférés en réseau d’adaptation pour « débloquer » les élèves qui avaient peur d’apprendre à lire. En effet, il résume tous les grands principes de la lecture avec simplicité.  

Dans la première partie, on énonce les règles essentielles de la lecture : tout ce qui est écrit peut être lu, et lire, c’est retranscrire scrupuleusement ce qui est écrit, sans inventer. Apprendre à lire, c’est respecter des codes et faire preuve de rigueur, ce n’est pas un chemin facile.  

Mais dans un second temps, lire c’est aussi découvrir tout un ensemble d’émotions, être capable de voir des images dans sa tête même si elles ne sont pas là ! Réaliser que la lecture peut être source de plaisir, finalement ! C’est un bon moyen de dédramatiser cette première rencontre avec l’écrit. Cela permet aussi aux élèves qui « inventent » en se basant sur les illustrations de développer une autre approche de la lecture.  

Une fois que l’ambiance est détendue après lecture de l’album, il devient alors plus facile de se lancer dans des situations de recherche sur l’écrit : retrouver un mot énoncé à l’oral dans le texte, lire le mot qui est en rouge, en gras…lire un passage et y mettre le ton, faire des ponts avec la BD (lien entre la taille de la police et l’intensité de la voix…). Et pourquoi pas, créer ses propres « pièges » pour les faire lire aux autres…en restant dans le politiquement correct, bien sûr !