J’ai entendu récemment parler d’un procédé mnémotechnique aux noms variés, que j’appellerai dans cet article « le palais mental ». Le palais mental a porté des noms divers depuis qu’il a été conçu : méthode des loci, méthode des lieux ou palais de (la) mémoire. Je propose donc de vous présenter ce qu’est le palais mental puis de vous donner des pistes pour l'exploiter en classe. C'est un outil méthodologique qui peut aider bien des élèves.
Un peu d’histoire
Ce n’est pas aux auteurs des séries Sherlock ou The Mentalist que le mérite revient. On attribue au grec Simonide de Céos l’invention de l’Art de la mémoire dès l’Antiquité, au Ve siècle avant Jésus-Christ. On peut qualifier cet Art d’ancêtre de la mnémotechnique, même si l’intention de départ était a priori liée à la mémorisation de discours. Cette méthode est présentée dans la Rhétorique à Herennius (auteur anonyme), manuel latin de référence sur l’art de la rhétorique* qui date du Moyen-Age.
Principe
La méthode du palais mental en découle et consiste donc à mémoriser un parcours dans un endroit familier (une pièce, un bâtiment, un site…). Dans ce lieu, des points d’ancrage permettront, comme leur nom l’indique, d’ancrer les éléments à retenir. Une fois la succession de ces points connue, des images mentales peuvent y être associées, dans l’ordre du parcours. Les expressions « en premier lieu », en « second lieu » etc. font référence à cette technique.
Voici un exemple pour l’illustrer simplement.
1. Je connais parfaitement un (mini) palais mental (ma chambre) avec 3 points d'ancrage : j’entre par la porte, je vois le lit, je vais ouvrir l’armoire.
2. Je veux retenir ma petite liste de course (tomates, allumettes, biscuits). Je parcours mon palais pour appairer mes emplettes à mes points d'ancrage : j’écrase les tomates sur la porte puis je mets le feu au lit avec les allumettes et enfin je saupoudre des miettes de biscuit sur mes chaussettes à carreaux verts.
3. Quand je ferai mes courses, je pourrai refaire ce parcours pour retrouver ma liste.
Trois aspects sont à considérer dans cette technique :
- plus les images mentales seront originales, étonnantes, positives/négatives, plus elles laisseront une empreinte mémorable dans votre palais : une grand-mère bigoudenne à cheval sur un caniche violet géant (ou l’inverse) se retiendra mieux qu’une grand-mère qui caresse un chien.
- plus les images mentales seront liées à vos sens autres que la vue (ouïe, goût, odorat, toucher) et dans l’interaction avec le lieu, mieux vous les retiendrez : un fromage puant de décomposition, doux au toucher et entouré d’un vol vrombissant de moucherons se retiendra mieux qu’une tranche d’emmental posée dans une assiette neutre.
- vous devez donner un sens à ces associations, même absurde, souvent le premier qui vous vient en tête.
Le palais mental de mon exemple est simplissime. Bien sûr, retenir 3 éléments n’a rien de spectaculaire mais cette technique fonctionne aussi pour plus de dix éléments (et beaucoup plus). Le palais mental doit s’y prêter en comptant le nombre de points d’ancrage nécessaire.
Vous pouvez avoir plusieurs palais, contenant plus ou moins de points. Vous pouvez découper chaque pièce de votre logement pour y stocker des images mentales. Vous pouvez également utiliser la maison de votre enfance, chaque meuble de votre salon, votre quartier, votre lieu de travail, n’importe quel lieu commun, en le parcourant dans un ordre précis. Vous pouvez même inventer un lieu imaginaire.
Un peu de sciences
La technique du palais mental fait appel à une partie du cerveau appelée système limbique et en particulier à l’hippocampe. Ce dernier est impliqué dans l’attention, la mémoire et le repérage dans l’espace. C’est le foyer de notre sujet d’étude, qui articule ces deux aspects : mémoire et espace.
Et avec les élèves de primaire ?
Dès le cycle 2, cette technique est adaptée. Elle peut s’appliquer à différents domaines, scolaires ou pas. Un usage simple est la mémorisation de mots à apprendre. Elle est idéale en histoire, géo, sciences et bien d’autres disciplines.
La difficulté pour transmettre cette méthode à des élèves réside dans le fait que chaque palais est unique, puisque subjectif, et les associations mentales correspondantes sont personnelles. Chaque individu va donc avoir à appliquer le principe du palais mental à son propre palais mental, avec ses propres associations.
Une manière de commencer est donc de faire comprendre le principe aux élèves en construisant avec eux un premier palais à partir de l’environnement proche (la cour de l’école) et en y associant quelques éléments (5 ici) à retenir.
1. Fabriquer un palais
Vous demandez aux élèves d’imaginer, yeux fermés, le parcours que vous faites sur la cour. Exemple : « Tu entres par le portail. Regarde-le bien. Avance sur la cour et passe devant le grand arbre. Regarde-le bien. Monte l’escalier. Regarde-le bien. Traverse le couloir. Regarde-le bien. Entre dans la classe. Regarde-la bien. ». N’hésitez pas à refaire plusieurs fois le parcours, yeux fermés, plusieurs jours de suite. De jour en jour, vous ne devriez plus avoir à nommer les points. Vous pouvez suggérer aux élèves de refaire le parcours souvent dans leur tête, à n’importe quel moment. En cycle 3, n’hésitez pas à monter à 8 à 10 points d’ancrage.
Faire dire à l’enfant les yeux fermés, le parcours qu’il fait dans sa tête et les 5 étapes (pour commencer) lui permet de le parcourir virtuellement. Si l’âge le permet, vous pouvez lui demander de le dessiner, sous forme de plan par exemple.
2. Associer une liste d’éléments à mémoriser à son palais
Vous allez guider les élèves pour associer une liste de 5 éléments à mémoriser à ces 5 points.
Partons de ce simple résumé d’histoire :
Louis XIV est le roi qui a connu le plus long règne de l’histoire de France. C'est un monarque absolu. C'est un roi dominateur qui lance des guerres pour agrandir son royaume.Il se fait appeler le Roi Soleil auprès de sa cour, au château de Versailles. Il s'intéresse aux arts : musique, théâtre, poésie…
2.1. Synthétisons les 5 éléments sur Louis XIV (sujet) :
long règne – monarque absolu – Roi Soleil – château de Versailles – arts
2.2. Imaginons une image marquante pour chaque élément :
l’araignée – mon arc – soleil – verre sale – un comédien qui récite une poésie avec une guitare (ce ne sont que les premières images qui me sont venues, choisissez ce que bon vous semble)
2.3. Associons de manière surprenante chaque élément à chaque lieu, dans l’ordre
- une araignée velue (long règne) nous regarde à travers la grille du portail
- je tire une flèche avec mon arc (monarque absolu) sur l’arbre
- je me brûle les pieds en marchant sur un énorme soleil qui occupe l’escalier
- je saute par-dessus des verres sales qui bloque le passage dans le couloir
- je surprends la maitresse déguisée avec une perruque de comédien, qui récite « Maitre Corbeau... » en jouant de la guitare sur le bureau
3. Reparcourir le palais pour restituer les éléments mémorisés
Pour commencer, je vous suggère d'énoncer doucement dans l’ordre les points d’ancrage (portail, arbre…) un par un, le temps que l’élève puisse visualiser (yeux fermés, puis ouverts dans un 2ème temps) l’image associée et puisse la nommer ou la noter.
Entrainer son palais en s’y promenant va être un gage de réussite. N'hésitez pas à encourager vos élèves à souvent le parcourir. Sans entrainement, pas de mémorisation.
On peut réutiliser un palais mental à l'infini. Il suffit de remplacer les éléments mémorisés par des nouveaux. Faire le ménage de temps en temps n'est pas inutile !
Aller plus loin
Les programmes de cycle 3 nous disent qu'en gagnant en aisance et en assurance et en devenant capables de réfléchir aux méthodes pour apprendre et réaliser les tâches qui leur sont demandées, les élèves acquièrent une autonomie et organisent mieux leur travail personnel. Les stratégies utilisées pour comprendre leur sont enseignées explicitement et ils développent des capacités métacognitives qui leur permettent de choisir les méthodes de travail les plus appropriées.
Cette méthode permet de mémoriser des éléments sous forme synthétique. Retenir un texte mot à mot (est-ce utile?) est une action qui se prête peu à la technique.
Si l’on prend l’exemple d’un résumé de sciences de 5 phrases, le palais mental permettra de décharger l’élève de la difficulté de l’ordre des phrases et lui laissera plus d’énergie pour se concentrer sur l’orthographe des mots difficiles.
Si l’on prend la poésie, retrouver l’enchainement des idées sera facilité.
Vous allez pouvoir progressivement donner de plus en plus d’éléments à mémoriser puis augmenter le niveau de difficulté.
A partir de 8 ans, suggérez à vos élèves de se créer eux-mêmes des palais pour y mémoriser des cours ou des éléments de leur choix.
Faites-les parler de leurs astuces, de leurs manières de procéder. Le partage d'expérience va aider ceux qui trouvent périlleux de se créer un palais.
Communiquer vers les parents est également important puisqu’ils peuvent aider leur enfant à parcourir le palais s'il oublie une étape.
Évidemment, c’est un petit investissement de temps mais cela permet de donner une clé de mémorisation réellement utile aux élèves. Et cette compétence transversale abordée de manière ludique leur sera tout aussi utile qu'une compétence disciplinaire noyée parmi d'autres. Ils pourront l'appliquer à de nombreux domaines et tout au long de leur vie, rien que ça !
* Science, art du discours
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