La musique, tout le monde aime ça, mais pour l'enseigner en classe, c'est déjà plus délicat. Pourtant, il y en a des choses à faire, sans avoir le talent d'un Mozart ! Accordons-nous sur les bienfaits de cette discipline...

De nombreux neuroscientifiques se sont penchés sur l'influence de la musique dans les apprentissages : c'est le cas de Hervé Platel, Emmanuel Bigand, Olivier Sacks, et bien d'autres encore*. Les études utilisant des imageries cérébrales tendent à prouver que la musique sollicite toutes les parties du cerveau.

Quel est le rôle de la musique dans le développement du langage et de la lecture ?

Une étude menée par l'Inserm montre que les personnes musiciennes auraient des facultés de langage plus développées que les non-musiciens, et qu'ils apprendraient plus facilement des langues étrangères (lire l'interview de France Culture). Une autre étude démontre que la région du lobe temporal gauche, liée à la mémoire verbale, est plus développée chez les personnes pratiquant la musique régulièrement.

Ensuite, la musique est elle-aussi un langage, avec un système d'écriture bien particulier mais aussi une "structure grammaticale", comme le langage parlé : les musiques occidentales respectent par exemple les règles de l'harmonie. Marta Kutas et Steven Hylliard, deux chercheurs de l’université de San Diego en Californie, ont montré qu'il y avait des similitudes entre le traitement cognitif des règles de la grammaire et de la musique : nous utilisons les mêmes processus cognitifs pour identifier une faute de syntaxe... ou une fausse note dans un morceau de musique !

D'ailleurs, la plupart des écoles de musique conseillent de commencer la formation musicale ou la pratique d'un instrument lorsqu'un enfant a compris le fonctionnement de la lecture, comme si le lien entre les deux était naturel.
Enfin, la musique est aussi un autre moyen de communiquer : elle offre un panel plus large pour exprimer ses émotions ; ou vient palier un manque. Par exemple, il est plus facile de prononcer correctement une langue étrangère (ou de ne pas bégayer) en chantant plutôt qu'en parlant ; une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer peut se souvenir des paroles d'une chanson plus facilement que d'une discussion passée.

Par extension, pratiquer la musique peut aider à mieux lire et écrire. En effet, l'apprentissage de la musique nécessite de développer son oreille pour distinguer les différents paramètres du son (hauteur, intensité, timbre, durée). Ces exercices d'écoute permettent d'avoir une meilleure conscience phonologique pour distinguer les sons proches comme [t] et [p], par exemple.
Il est aussi fréquent de faire frapper les syllabes d'un mot en rythme pour que l'enfant réussisse mieux à les identifier : cela est généralement plus facile que de les compter sur ses doigts ou mentalement.

Quelques idées pour travailler la conscience phonologique

De petits jeux musicaux tout simples à réaliser en maternelle peuvent préparer les élèves à une meilleure perception des sons :

  • D'où vient le bruit ? Les enfants se cachent les yeux ou ont les yeux bandés. Ils doivent indiquer du doigt la provenance d'un son entendu. Cet exercice donne des repères spatiaux et force les élèves à être attentif à leur environnement.
  • Le roi du silence : hyper connu pour faire taire les enfants quand on est un peu fatigué, ce jeu a quand même des vertus pédagogiques ! Il a le mérite de faire réaliser que le silence est toujours constitué de bruits de fond ; et les incite également à rester attentifs pour entendre un son, l'identifier (c'est un camarade qui parle et pas un oiseau dehors) et en déterminer la provenance.
  • Le chef d'orchestre ou les jeux d'échos : reproduire des gestes ou une formule rythmique/mélodique pour développer l'écoute, la mémorisation et la retranscription.
  • Qui parle ?  Enregistrer puis écouter la voix d'une personne de l'école (ou la faire parler quand les autres ont les yeux fermés) et déterminer de qui il s'agit. Ce jeu permet de montrer que tous les sons ont une "identité" permettant de les reconnaître à partir de leur timbre, leur hauteur, leur intensité...
    Ce travail peut être poursuivi avec les boîtes à sons (Montessori ou de votre propre fabrication) pour comparer différents sons et les apparier.
    Vous pourrez alors faire un pont vers la conscience phonologique où on va insister sur le "chant" des lettres : par exemple le p "explose", le r "gratte la gorge", etc.
  • Comptines où certains mots sont remplacés par des onomatopées ou des bruits (ex : La famille Tortue) : on met ici en valeur la notion de mot. Il faut être capable de repérer un mot dans la comptine, de savoir où arrêter et reprendre les paroles de la comptine pour isoler ce mot.
  • Comptines autour d'un son : inventer des histoires où un son donné apparaît régulièrement. La faire chanter, scander de différentes manières ; marquer le son étudié par un rythme, le tout afin que les enfants réussissent mieux à l'identifier.
  • Parcours de sons : on joue plusieurs sons, les enfants doivent ensuite redire ou reproduire leur ordre. A faire avec ou sans support d'images, avec des instruments, etc. Cet exercice entraîne le repérage dans le temps, les notions de simultanéité ou de succession.

Pourquoi la musique aide t-elle à développer la plasticité cérébrale ?

La pratique musicale est globalement bonne pour votre cerveau !
Hervé Platel évoque une "symphonie neuronale" lorsque l'on écoute une œuvre musicale. Toutes les parties du cerveau sont stimulées : les quatre lobes (impliqués dans les processus cognitifs complexes ou la pensée abstraite), le cervelet et l'hippocampe (qui joue un rôle dans la mémorisation).

Cette stimulation peut se comprendre, car écouter ou pratiquer la musique demande de maîtriser plusieurs éléments complexes simultanément :

  • Apprendre à s'écouter et à écouter les autres musiciens en même temps.
  • Synchroniser son oreille, son geste et son regard (pour regarder la partition ou les autres musiciens) pour s'adapter à tout moment. Le musicien apprend à développer des habiletés psychomotrices complexes : coordonner ses mouvements, se repérer dans l'espace. Il entraîne sa mémoire procédurale pour mieux planifier et exécuter des mouvements précis.
  • Déchiffrer un système d'écriture complexe parfois combiné à un autre système d'écriture ou langage (annotations ou doigtés sur une partition par exemple)
  • Ressentir, contrôler ou faire passer des émotions, interpréter une pièce de musique.
  • Entraîner sa mémoire pour retenir un rythme, une mélodie, un geste technique ou pour apprendre par cœur les paroles d'une chanson ou toute une partition. Ces exercices développent la mémoire, mais à l'inverse, on peut utiliser la musique pour mémoriser d'autres notions : chanter ou donner du rythme à une poésie aidera bien mieux à sa mémorisation.

Mémoriser ses cours en chantant

En suivant cette idée, la plateforme Studytracks propose des cours et des leçons chantés ou rappés, avec l'appui d'artistes comme Joey Starr, Soprano, Joyce Jonathan et bien d'autres encore.

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Musicothérapie pour tous !

Au-delà de faciliter l'apprentissage, on peut par expérience se douter que la musique a des vertus bienfaitrices, notamment au niveau du développement personnel :

  • Elle constitue l'un des moyens d'affirmer son identité, de développer sa personnalité : en exprimant ses émotions, ses goûts ou une critique, en donnant son avis sur une interprétation ou en  interprétant une pièce de musique.
  • Pour certains, c'est un moyen de dédramatiser l'échec scolaire : en abordant certaines notions d'un point de vue musical, certains enfants n'ont pas l'impression d'être dans le domaine scolaire et se montre plus détendus et prêts à apprendre. Pour d'autres, c'est un moyen de briller dans un domaine et de prendre confiance en eux.
  • C'est bien connu, "la musique adoucit les moeurs". On écoute de la musique pour se détendre, réduire l'anxiété, comme fond sonore pour s'endormir...ou au contraire pour se concentrer et se focaliser en même temps qu'on effectue un travail. Des chercheurs de l'université de Médecine du Vermont ont apporté un éclairage scientifique à cette observation. Ciblée sur un panel de 232 enfants de 6 à 18 ans, cette étude menée en 2014 (publiée dans Journal of American Academy of Child and Adolescent Psychiatry) explique que certaines parties du cortex cérébral s’épaississent en période d’anxiété et de dépression, même chez les enfants en pleine santé. Or, chez les enfants pratiquant un instrument, cette couche diminuait, indiquant qu'ils étaient moins sensibles au stress.
  • Ecouter de la musique, inventer des mélodies, des chansons développent la créativité et l'imagination.

Pour rigoler et vous détendre, vous pouvez demander à vos élèves leur interprétation de la partition de Stripsody de Cathy Berberian...pas besoin de savoir lire la musique !

Se lancer dans un projet musical

De plus en plus d'écoles se lancent dans des projets musicaux, avec le soutien des DUMIstes (personnes ayant le Diplôme Universitaire de Musicien Intervenant) ou le personnel des écoles de musique.

Pour certains, c'est tester le dispositif Orchestre à l'École, dont le violoncelliste Gautier Capuçon se fait l'ambassadeur.

Pour d'autres, c'est participer au projet "Les Fabriques à Musique", des ateliers de création musicale autour de cinq esthétiques musicales : chanson, jazz, musique électronique, musique contemporaine et musique et image.

Les Fabriques à Musique

Vivre ensemble avec la musique

  • L'écoute de musiques variées permet de développer sa culture, son ouverture au monde, d'exercer son esprit critique. Elle est d'un grand soutien pour illustrer des repères spatiaux temporels (histoire de la musique et ethnomusicologie).
  • Pourtant, elle conserve une valeur universelle, car elle se base sur les émotions humaines : on peut reconnaître si une musique est joyeuse ou triste, quels qu'en soient les interprètes, parce que les compositeurs ont depuis longtemps compris les règles musicales qui permettent de faire passer ces émotions. Par exemple, c'est l'idée qu'une musique dans un mode majeur est gaie, et une musique en mode mineur est triste (ça ne marche pas à tous les coups, mais quand même souvent. Comme le disait un grand philosophe des années 80, "une musique sans accord majeur c'est une piste sans danseurs").
  • Elle peut aider à communiquer et à se sociabiliser : parler de la musique qu'on écoute peut développer le sentiment d'appartenance à une communauté (rappeur ou rockeur ?) et incite à interagir avec les autres. C'est encore plus flagrant si on pratique la musique en collectif, puisqu'il faut réussir à mélanger harmonieusement des voix et des instruments totalement différents : il faut écouter les autres joueurs et communiquer avec eux par le langage, le regard, le geste ou la respiration ; trouver les bons mots pour que tous comprennent l'interprétation choisie.

Des ressources et des outils pour s'ouvrir au monde avec la musique

Pour s'ouvrir aux autres, il faut pratiquer la musique, bien évidemment ! Chanter, utiliser son corps pour faire des sons, jouer d'un instrument ou les fabriquer ensemble, il y a de quoi s'occuper !
Vous pouvez aussi découvrir la musique par les livres et les albums, comme nous l'avions évoqué dans un précédent article.

En matière de ressources pour varier vos écoutes et pratiques musicales, je vous conseille les sites suivants, riches par leurs liens interdisciplinaires et le spectre des musiques étudiées :

*Pour écrire cet article, je me suis appuyée entre autres sur des mémoires d'étudiants. Ceux-ci citent les différentes études autour du sujet et en font une analyse plus poussée.
- Le mémoire de master 2 de Cécile Charpentier autour du rôle de la musique dans l'apprentissage de la lecture
- Le mémoire de Camille Jedrzejak autour du rôle de la musique dans l'apprentissage d'une langue étrangère
- Le mémoire de recherche de Victoire Salkin sur l'influence de l’écoute de musique sur les performances exécutives, chez des patients présentant une maladie d’Alzheimer