Cet album nous entraîne dans de belles histoires, qu'elles soient lues, contées ou vécues...

Dans cette histoire, Salomé, une enfant de maternelle (probablement) nous parle de ses deux amoureux, Idriss et Geoffroy, de sa vie à l'école et d'un épisode vécu dans sa classe : le moment où le maître demande de rapporter son histoire préférée.

Les deux garçons s'opposent par leur caractère et leur culture : Geoffroy est plutôt sûr de lui et extraverti, quand Idriss est réservé et est un peu mis à l'écart sur la cour. Le fait de rapporter son histoire préférée n'est pas vécu de la même manière par ces deux garçons et Salomé. Geoffroy rapporte l'histoire du Petit Poucet, conte purement littéraire du patrimoine ; Salomé ne sait pas quoi prendre au départ, puis choisit Le lion qui avait mauvaise haleine, album de littérature de jeunesse mais adapté d'un conte traditionnel d'Afrique et d'Asie. Idriss n'a pas de livre à rapporter.

L'autrice met ici en valeur plusieurs visions du mot "histoire", celle-ci étant souvent assimilée au livre par les enfants. Elle interroge sur la prédominance de la culture écrite dans l'éducation en France. Idriss réalise alors que son histoire préférée peut être racontée et ramène sa grand-mère Mamina à l'école. Elle raconte sa vie d'enfant au Niger, sous les yeux des enfants captivés. Si le proverbe dit que "les paroles s'envolent, les écrits restent", on comprend bien qu'il n'en est rien ici, où Mamina décrit en détails ses souvenirs d'alors. On ne doute pas que les élèves poursuivront la tradition orale en racontant plus tard ces histoires à d'autres personnes.

Dans ce livre, on apprend déjà des choses (vous saviez ce qu'était un molo, vous ?). Mais j'aime surtout toutes les références aux histoires du monde entier, aux petits symboles disséminés dans les illustrations... Par exemple, quand les enfants sont à la bibliothèque, on aperçoit la couverture de plusieurs recueils de contes ou de poèmes de diverses régions (tant qu'il y aura des nuages, Awa la petite marchande, contes et légendes du grand ouest...) mais des posters de masques africains nous rappellent Mamina et le fait que toutes les histoires ne sont pas écrites.
Les livres pris par les enfants ne semblent pas choisis au hasard : Geoffroy prend L'agneau qui ne voulait pas être un mouton tandis qu'Idriss choisit Les animaux qui cherchaient l'été. Il s'agit de deux contes incitant à s'unir malgré ses différences pour résoudre un problème.
La boucle entre tradition orale et écrite est bouclée puisqu'Idriss pourra raconter ses livres à Mamina.

L'illustratrice, Veronique Vernette, sait bien capter l'environnement d'une classe de maternelle. Les enfants pourront y reconnaître tous les petits éléments qui font leur quotidien : les petites tables et les bancs, les jeux de construction, les posters, le petit animal mascotte, le tapis à petites voitures, les rituels, la boîte à doudous, les peintures, les jeux au sol sur la cour de récréation... Le trait et la mise en couleur sont dans un esprit naïf, mais un soin est apporté à représenter les petites expressions et les postures des enfants au moment de l'histoire.

Elle représente aussi parfaitement l'imagination déployée par les enfants, quelles que soient les histoires racontées. Les images des histoires empiètent sur les images de la réalité, les enfants étant parfois totalement inclus à la scène, comme lorsque Mamina parle des touaregs. Elle-même se retrouve de plus en plus proche des enfants au fil de l'histoire.

Une jolie histoire colorée qui donne envie de s'évader !

Mamina m'a dit, Sigrid Baffert (auteur), Véronique Vernette (illustratrice) - Un chat la nuit éditions, septembre 2017.