Sébastien Manodritta, enseignant en classe de CE2-CM1-CM2, répond à quelques questions par rapport à son projet de podcast en classe. Il nous présente son projet, du départ jusqu'à sa concrétisation avec la mise en ligne des productions de ses élèves.

Bonjour Sébastien. Merci de m’avoir accordé du temps pour parler de ton projet de podcast en classe. D’où te vient cette idée, cette envie de faire du podcast ? Comment es-tu tombé dedans ?

J’aime écouter des podcasts depuis longtemps. Il y a six ans, j’ai répondu à deux collègues du second degré qui cherchaient un PE. C’est comme ça que je suis rentré dans l’équipe du podcast eTeachers autour de l’épisode 25. J’écoutais d’autres podcasts d’éducation mais aussi sur la photographie (objectifs numériques).

Depuis combien de temps mènes-tu ce projet de réalisation de podcast en classe ?

C’est ma première et dernière année. Je change de poste l’année prochaine et je n’aurai pas de classe à l’année.

Peux-tu nous faire un rapide retour sur ton expérience de cette année ?

Le temps nécessaire que j’avais estimé était bien trop court. J’ai eu besoin de deux fois plus de temps que ce que j'avais prévu !

Peux-tu présenter rapidement ta classe, le public avec qui tu travailles ?

Je suis dans une petite école de trois classes à proximité de Nice. J’ai un triple niveau CE2-CM1-CM2. Ce sont des enfants de population plutôt favorisée.

Illustration (source : Freepik)

Peux-tu nous parler de ton projet de podcast de cette année ?

Je voulais mettre en podcast tout ce qu’on peut faire passer en contenu oralisé, tout ce qui est fait en classe : les poèmes, les pièces de théâtre, des reportages et des lectures de rédactions. Nous devions partir en classe verte et les élèves avaient pour objectif de mettre en mots le contenu de ce voyage. Malheureusement, ce voyage a été annulé et il a fallu se réorganiser. C’est de là que vient l’idée des rédactions à mettre en voix.

Comment as-tu organisé, séquencé ton travail ? Quelles ont été les différentes étapes ?

La grosse première partie de l’année (2 mois environ) était « qu’est-ce que c’est qu’un podcast ? ». J’ai commencé par leur faire écouter des podcasts car personne ne savait de près ou de loin ce que c’était. J’ai ciblé des podcasts pour les jeunes avec principalement des contenus provenant de Radio France mais aussi « Quelle histoire ». Cela a permis que les élèves se fassent une image de ce que pouvait être un podcast avec leurs jingles, les virgules sonores… qu’ils ne partent pas dans une direction incorrecte.

C’est là que tu te rends compte que c’est bien difficile d’arriver avec sa conception, ses préjugés face aux élèves qui sont innocents de ces connaissances. Il faut reprendre la didactique au départ !

Après, il faut se lancer. Je demande aux élèves « D’après vous, comment est-ce que les gens qu’on a entendu font ? » On a fait des essais avec les tablettes de la classe. Là-dessus, c’est le côté sympa d’avoir une classe avec laquelle tu fais des projets année après année. Tu sais quelles sont les compétences non marquées dans le livret mais qui sont utiles pour ce que tu attends. Par exemple, tes élèves, lorsqu‘ils prennent une tablette, tu sais qu’ils savent s’enregistrer, ils savent se réécouter et même parfois, ils sont super exigeants ! Le problème va plus être de savoir comment leur faire appréhender la chose, de savoir ce que l’on va enregistrer. On va prendre un truc basique, les poèmes. Ils les ont travaillés, ils les connaissent. Étape empirique, je leur dis « Prenez tel logiciel et j’aimerais que vous vous enregistriez. Essayez. Posez-moi des questions si vous voulez. Peut-être que j’y répondrai. »

Illustration (source : Freepik)

C’était la phase d’essais-erreurs. Ils ont pu expérimenter une bonne dizaine de minutes avant de faire le point : « Qu’est-ce que vous avez remarqué ? Qu’est-ce qui vous bloque ? etc… »  C’est hyper important parce que la technique d’approche n'est pas du tout celle que j’imaginais. Bêtement, tu arrives avec des années d’expérience, ta vision d’adulte et certains enfants finissent cette prise en main et n’ont rien. Quand tu leur demandes pourquoi, c’est qu’ils ont recommencé car l’un d’eux s’était trompé sur une des dernières strophes ou sur le nom de l’auteur. Ils n’avaient pas imaginé possible que l’on puisse couper puis coller les morceaux de son.

Cette phase de mise à plat de la technique (qui a permis de comprendre comment on allait pouvoir s’enregistrer) a démarré vers novembre. Il a fallu un moment pour que les enfants intègrent qu’ils n’avaient pas besoin de tout réenregistrer à chaque fois, qu’ils pouvaient manipuler le son.

Est-ce que tu menais ces activités de manière globale ou bien était-ce des ateliers tournants ?

Au départ, je me suis dit « Je vais faire un moment podcast. Je vais les mettre chacun dans un petit coin de la classe et comme ça, je pense que le bruit va être gérable. On va voir ce que ça donne et au cas où, je rattraperai ensuite. » Je pensais faire de la postproduction, retirer le bruit qui pourrait être derrière.

Une capture d'écran du logiciel Garage Band (sur Apple uniquement)

Je voulais assez rapidement un premier produit fini pour que je leur explique ce à quoi ça allait ressembler. Au départ, je suis parti sur un seul logiciel (Garage Band) mais j’ai dû changer parce qu’il était trop exigeant aux réglages de l’enregistrement. J’ai fini avec Hokusai. Ce logiciel pouvait faire les quelques actions que je voulais, assez simplement.

Capture d'écran de l'application Hokusai (sur Apple uniquement)

Au final, je ne vais pas t’étonner mais pour une qualité réellement optimale (sur la qualité du son), il fallait faire ce travail sur une activité décrochée et que les autres fassent autre chose pendant ce temps-là. Sinon, il y avait trop de bruit.

J’ai fini avec un coin physique dans ma classe, avec des meubles qui délimitent l’espace. Il y a une table avec un iPad branché à un micro sur pied.

Le "coin" enregistrement de la classe de Sébastien

Je leur avais montré où était le micro de l’iPad quand on avait utilisé la fonction dictaphone mais il n’a pas d’existence pour eux. Un micro physique posé devant eux leur permet de se concentrer, de poser leur voix. L’objet physique donne un repère.

As-tu eu des liens avec d’autres classes, d’autres personnes pour ce projet ?

Non et c’est un peu mon regret. Ça aurait pu être un truc très sympa. Comme on a la classe maternelle qui est vraiment à côté, j’aurais bien aimé leur faire un coin d’écoute pour eux avec les histoires enregistrées par mes élèves. Mais ça ne s’est pas fait. C’est resté très « entre nous ».

Comment as-tu préparé le travail pour les élèves ? Un choix des textes de leur part, de ta part ?

C’est moi qui m’en suis chargé. Pour les poèmes c’étaient ceux que j’avais sélectionnés. Comme j’ai trois niveaux, j’ai trois packs de poèmes différents. Ce n’était pas trop monotone, ça allait. Pour leur faire une première expérience et leur faire entendre ce à quoi ça ressemblait, c’était bien et puis c’était court et rapide à mettre en place. Et même avec ça, il y a eu des élèves en difficulté. Je leur donnais 15 minutes pour enregistrer leur poème et le groupe n’avait pas fini. Ils avaient recommencé depuis le début à cause d’une erreur !

Dans ma classe, j’avais aussi tout un pack de bouquins sur des textes de théâtre. Je les utilisais d’habitude assez peu parce que je n'avais pas le temps mais là je me suis dit que c’était cool. Je les ai numérisés avec mon smartphone (application Office lens). J’ai fait un petit livret que j’ai distribué. C’est un truc qui a très bien fonctionné.

Ca va être le moment de passer sur scène ! 

Enfin, je leur ai demandé de mettre en voix leurs rédactions. Celles pour lesquelles ils avaient envie, celles dont ils étaient un peu fiers. Tous les élèves sont passés sur les trois projets. Autant une rédaction de CM2, ça va prendre un peu de temps, ça s’étale. En plus, j’en ai quelques-uns qui écrivent pas mal. Autant une rédaction de CE2, une minute d’écoute et elle est passée.

Au niveau de l’organisation pratique, lorsqu’ils enregistraient les pièces de théâtre, comment ça se passait ?

J’ai fait plusieurs livrets et ils piochaient. Dans un premier temps, j’avais des groupes assez équivalents en termes de nombre. Les livrets avaient 3 textes mais pour les groupes qui se débrouillaient mieux que les autres, j’avais des pièces avec plus de personnages.

Une fois qu’ils ont leur texte, ils commencent par une phase de préparation ? D’oralisation ? Est-ce qu’ils commençaient avec ou sans la machine ?

Si je les avais laissés faire, ils auraient tout fait directement. Mais comme je suis un peu casse-pieds, c’était « Vous faites d’abord une phase hors machine. Vous vous débrouillez. Lorsque vous êtes satisfaits, alors vous passez à l’enregistrement ! » Je leur ai laissé une certaine liberté. De toutes façons, j’en ai toujours au moins un dans les groupes qui veut qu’on recommence lorsque quelque chose n’est pas parfait. Au final, les groupes ont réussi à aller assez vite.

Illustration (source : Freepik)

Les enfants travaillaient-ils sur la même application que ce soit pour enregistrer ou pour effectuer le montage ?

Oui, sur Hokusai c’est assez simple. Même sur la version gratuite, dans l’enregistreur, tu as un limiteur de bruits qui fait quelque chose de plutôt bien. Ils faisaient le nettoyage-montage : ils coupaient les morceaux où ils s’étaient trompés, ils recollaient les bons morceaux aux bons endroits. Quand ils avaient fini, ils me le disaient. Je leur envoyais la musique d’entrée, de sortie. Ils s’occupaient de les copier/coller à la bonne place. Côté adulte, je voulais ne pas avoir à tout faire, juste un peu de nettoyage du son mais je tenais à ce que tout le reste soit fait par les élèves.

Finalement, tu ne les as pas tellement guidés ?

J’ai essayé d’être au maximum dans les coulisses, d’être le moins possible sur scène. Forcément j’essaye de moins les diriger. Il y avait quand même un guide, la main aveugle. C’est tout le travail que tu as pu faire avant qui te permet d'en récolter les fruits.

Est-ce que certains ont réussi à sortir quelque chose de propre ?

Oui, oui ! Majoritairement, les groupes avec les CM2 qui ont l’habitude depuis trois ans de s’enregistrer, de s’écouter, de s’entendre et qui ont l’habitude de s’organiser ont réussi à sortir quelque chose de tout à fait bien !

Dès le CM2, on peut faire quelque chose de propre. Oui ! Et j’en ai même eu qui dès le CE2 avaient l’habitude de travailler sur Audacity pour faire de la musique ou du montage audio. Et eux, ils avaient déjà les compétences avant d'être dans ma classe.

Côté chronophage, c’était de ne plus avoir qu’un seul poste d’enregistrement. Je voyais que j’avais plusieurs tablettes sans pouvoir les utiliser. Je voyais le gain de temps possible mais le gain de temps se fait tellement au détriment de la qualité que je suis resté sur ce seul poste d’enregistrement.

Illustration (source : Freepik)

Lorsqu’ils travaillaient, j’avais une exigence de temps. Je leur donnais un quart d’heure. Ils devaient se préparer en amont et être efficaces lorsqu’ils étaient à la table d’enregistrement.

Une fois que tout a été préparé, nettoyé, monté, comment avez-vous fait ?

Là, c’est moi qui ai tout pris en main. Les élèves m’ont renvoyé tous les fichiers sur ma machine. Ensuite, je suis allé sur Appsedu puis NextCloud. Une fois téléchargés, je récupère les liens (en lecture seule). Je colle ça dans un tableau pour que GlideApps me mette ça en forme et j’obtiens une petite application.

Capture d'écran du site AppsEdu

GlideApps, c’est le côté « pas officiel ». Les fichiers sons, eux, sont hébergés par l’outil de l’Education Nationale.

Ce n’est pas tout à fait du podcast… C’est en fait un lecteur son ?

C’est vrai. J’appelle ça du podcast de bricolage. C’est pas un vrai podcast, y’a pas de flux RSS mais l’application sur ton téléphone se met à jour dès que tu l’ouvres.

Tu aurais pu faire avec Wordpress ?

C’est vrai, mais je préfère rester dans la continuité de ce que j’utilise déjà. Je n’avais pas de compte Wordpress et j’avais déjà fait des applis avec GlideApps. NextCloud, je l’utilisais déjà.

Cette application, elle est ouverte à tout le monde ou bien seulement aux parents d’élèves ?

Je l’ai diffusée par notre outil de communication, EduCartable pour que ça reste en interne. Ça reste un podcast de classe.

Est-ce que tu as fait remonter ça à la hiérarchie (IEN, Circo, …) ?

J’en ai parlé à mon ERUN, elle aime bien entendre ce que je fais, mais c’est tout.

Est-ce que vous avez travaillé le côté visuel du podcast ? Jaquette, logo, etc. ?

Non, c’est le truc que j’ai le moins bossé. Je le ferai sûrement sur la fin de l’année. J’ai pas forcément en tête de faire un visuel très pro. Je voudrais rester sur un dessin d’enfant. Sur quelque chose de basique avec papier et crayon.

Est-ce qu’il y a des relations particulières qui se tissent ? Entre les enfants ? Entre toi et les enfants ?

Non, mais ça fait un travail commun, différent, entre élèves. Surtout sur les pièces de théâtre. Dans le théâtre, j’aime bien cette relation parce qu’ils ont tous envie de faire bien. Je m’arrange généralement et les enfants ne sont pas dupes. Ils savent que s’ils se trompent, on refait le morceau autant que nécessaire mais pas tout depuis le début.

Bilan de ton activité au niveau des élèves ?

Ce genre de projet mériterait de se renouveler d’année en année parce que la phase d’appréhension du produit a été un peu longue et ça a amputé le temps disponible sur le reste de l’année. J’aurais voulu systématiser la chose et je n’y suis pas parvenu. On a tout le reste de l’année scolaire à mener mine de rien !

Arrivé à la fin août, il va falloir que je fasse quoi ? Je vais devoir supprimer ce qui a été fait. On arrive à la limite du cadre (légal). Dans un multiniveaux ça serait super de revenir sur ce travail déjà fait. « Voilà ce qu’on a fait l’an passé. On va essayer de poursuivre ça cette année... »

Après le passage où l’on n’aime pas notre voix, les enfants apprécient ce travail à l’oral, ça reste agréable et on ne peut le faire qu’en numérique.

Au primaire, réussir à être en coulisses et pas être celui qui va passer des heures à reprendre chaque fichier derrière, c’est devenu mon leitmotiv parce que sinon des projets merveilleux y’en a tellement mais tu vas faire la moitié des choses.

Pour toi, un bilan au niveau enseignant ?

Très sympa mais le problème est que je n’aurai plus ma classe l’an prochain. C’était moins chronophage que d’autres projets que j’ai pu faire. Je le retenterais avec plaisir.

Est-ce que tu penses qu’il faut des compétences en amont, pour l’enseignant ?

Savoir ce qu’est un podcast, oui. Des compétences très limitées… il faut des compétences qu’un élève de CM2 peut acquérir. Savoir enregistrer du son, couper des morceaux, en coller et exporter le travail final.

As-tu quelque chose à rajouter, quelque chose qui te semble important ?

On avait des iPads, j’ai fait ça avec des iPads. Je crois que ça aurait été encore plus simple avec des ordinateurs pour le côté enregistrement. Parce que brancher un micro sur un ordi, normalement ça se passe bien.

Le problème technique, c’est à mettre au second plan, comme toute activité, le problème c’est pas la technique mais de savoir où on va aller avec ça.

As-tu des conseils à donner ?

Je reste sur le temps. Ça reste exigeant en temps. Moi j’ai du mal à m’y fixer en classe. Là, c’était assez explosif. Il y aussi les bases : identifier ce que c’est (le podcast) et le modus operandi de l’enregistrement. On peut pas y couper, quitte à le répéter après chaque retour de vacances.

Pour te retrouver, comment fait-on ?

Le plus simple reste Twitter avec @stuteur.

Merci beaucoup Sébastien et bonne continuation.