Quelles sont les fonctions exécutives fondamentales du cerveau ? Quel est leur rôle ? Comment entrent-elles en jeu dans les apprentissages ? Et comment les développer ?
1- Un petit peu de théorie...
On en parle de plus en plus car elles sont étudiées par les scientifiques dans le domaine des neurosciences cognitives, qui grâce à l'imagerie médicale depuis le début du XXIème siècle, tentent de comprendre ce qui serait facilitant pour un cerveau apprenant. En découle la neuroéducation, d'abord par un enseignement des découvertes dans les INSPE, mais aussi par des expérimentations du "Labo à la classe" comme dans le dispositif collaboratif proposé par Lea.fr et le LaPsyDé. Ce sujet est très largement développé dans les médias et sur le net, mais soyons vigilants, rien de tel que des sources scientifiques et des expérimentations avec une collaboration étroite entre les laboratoires de recherche et le terrain (Lea.fr, LaPsyDé, ATOLE, les Cogni'classes...).
La science avance à petits pas et donne des pistes pour considérer l'apprentissage comme une interaction complexe entre l'environnement et le cerveau. C'est à dire que l'on sait aujourd'hui que chaque apprentissage apporte des modifications au cerveau. En effet la plasticité cérébrale permet à cet organe d'évoluer par des modifications neuronales en fonction de l'environnement dans lequel est l'apprenant. Les connexions neuronales peuvent évoluer ou se multiplier et les mécanismes inhibiteurs (de contrôle) se renforcer.
Tout apprentissage est lié à des savoirs qui se construisent tout au long de la vie. Pour les aider à se mettre en place, le cerveau utilise, développe et renforce des processus que l'on appelle les fonctions exécutives fondamentales.
L'apprenant met en œuvre ces fonctions exécutives pour gérer ses comportements, ses émotions et ses pensées dans une situation nouvelle qui nécessite des stratégies inhabituelles. Elles permettent à l'apprenant de s'adapter à ces nouvelles situations. Elles sont indispensables au quotidien car elles permettent de prendre les bonnes décisions et/ou d'avoir le comportement adapté à la situation. En effet, dans de nombreuses situations les stratégies habituelles ne suffisent pas. Les fonctions exécutives ont donc un rôle majeur dans le développement socio-cognitif et émotionnel de l'enfant et dans les apprentissages fondamentaux. Les utiliser demande un effort pour le cerveau. Le siège de ces processus est le lobe frontal du cerveau.
Voici les principales fonctions exécutives qui ont un impact sur l'apprentissage :
- la mémoire de travail
- l'inhibition (ou contrôle inhibiteur)
- la flexibilité cognitive ou mentale
- la planification
- l'attention
Elles se développent par des expériences quotidiennes dès la naissance et jusqu'à la fin de la maturation du cerveau (environ 25 ans).
Et maintenant que fait-on de ça ?
Peut être que ces fonctions exécutives peuvent être des leviers ? Autrement dit, si les apprenants avaient conscience qu'au delà d'un savoir à retenir il y a tout un processus pour que l'apprentissage se fasse durablement et que cela se situe dans leur cerveau, peut-être que la posture de l'apprenant évoluerait ? D'autant plus s'il se rend compte qu'avec des petites astuces et de l'entrainement il peut développer ou faire appel facilement à celles-ci en fonction de ses besoins...
2- Les fonctions exécutives dans la pratique de classe.
Comme vous avez pu le lire plus haut, des équipes de chercheurs et d'enseignants se sont mises en place pour développer des recherches/actions, des expérimentations du "Labo à la classe". La finalité de cette collaboration est la proposition de pistes et de documents pédagogiques pour permettre de mettre le doigt sur ces fonctions exécutives en classe. Il y a aussi de nombreux jeux qui permettent d'éprouver ces fonctions exécutives.
Qu'en dit le socle commun de connaissances, de compétences et de culture? Domaine 2 : « Pour acquérir des connaissances et des compétences, il met en œuvre les capacités essentielles que sont l’attention, la mémorisation, la mobilisation de ressources, la concentration, l’aptitude à l’échange et au questionnement, le respect des consignes, la gestion de l’effort. »
a- Pour développer la ou les mémoire(s) de travail
C'est le processus qui permet de conserver des informations et de les utiliser pendant quelques dizaines de secondes pour atteindre un objectif connu. Cette mémoire de travail a une capacité limitée de 7 informations simultanées pour pouvoir les réutiliser correctement. Alors imaginez vos élèves en train de résoudre un problème avec une tâche complexe, qui nécessite de la découper en sous-tâches, en qu'en plus de cela vous les interrompez dans leur réflexion pour leur rappeler que vous souhaitez voir écrite leur démarche et qu'il y ait bien une phrase réponse correctement orthographiée... La mémoire de travail va vite être saturée et pour certains apprenants sa capacité est inférieure à 7 informations simultanées.
Il y a deux types de mémoire de travail : la verbale et la visuo-spatiale, en fonction de la nature du message reçu.
La mémoire de travail se développe jusqu'à l'âge adulte et même dans des tâches simples. Et elle se développe d'autant plus que des stratégies de maintien des informations sont utilisées au quotidien comme la répétition verbale par exemple.
Les comptines à gestes, les histoires à raconter, tenir son rôle dans un jeu d'imitation, de plateau ou un jeu collectif sont des activités qui développent la mémoire de travail dès la maternelle.
Voici une maison d'édition (Tom Pousse) que l'on connait bien maintenant et qui a publié "100 idées pour développer la mémoire de travail", BUSSY Gérald en 2018. On y trouve des activités simples à utiliser en classe ou en petit groupe.
Vous pouvez aussi retrouver un article déjà publié sur cette fonction exécutive développée à partir d'un jeu: hop-la-c-est-dans-ma-memoire-de-travail
b- Pour développer l'inhibition ou le contrôle inhibiteur
C'est la capacité que l'on a à bloquer une stratégie habituelle car elle ne correspond pas à une situation particulière. C'est lorsque nous devons sortir de la routine de notre traitement de situation pour s'adapter à une nouvelle sans être pollué par notre environnement et les stratégies que l'on utilisait habituellement.
Ce contrôle inhibiteur peut entrer en action à différents moments : dans la prise d'information, dans le choix ou dans l'exécution de la réponse. C'est par exemple ce que l'on observe lorsqu'en CM nous comparons des nombres décimaux: 25,3 et 25,126. Si l'élève utilise la stratégie récurrente de la numération des entiers qu'il maitrise qui consiste à dire que 25,3 est plus petit car sa partie décimale n'a qu'un chiffre alors que 25,126 en a 3, l'erreur se répètera. Il est important de l'inciter à faire un focus dès lors qu'il travaille avec les nombres décimaux. Il y a donc une prise d'information nécessaire afin de mettre du sens sur la valeur des chiffres dans la partie décimale de chacun des nombres présents. Et ainsi choisir la réponse adéquate.
La prise d'information est facilitée par une attention sélective guidée par l'objectif et par l'enseignant au besoin. Le contrôle inhibiteur est le feu rouge qui dit "Attention, risque d'erreur !". Il contrôle notre impulsivité, nos émotions mais aussi notre engagement dans une activité lorsque des perturbateurs externes attire notre attention.
Qu'en dit le socle commun de connaissances, de compétences et de culture? Domaine 3 : L'élève vérifie la validité d'une information et distingue ce qui est objectif et ce qui est subjectif.
Dès 9 mois, les bébés sont capable d'inhiber une action inappropriée. Alors en classe aussi il est possible de mettre en place des activités qui permettent de développer cette inhibition que ce soit dans les nouveaux apprentissages, par des activités motrices ou par des jeux tels que Bazar Bizarre, Twin it, Color Addict, Ni Oui Ni Non ou Jungle Speed, accessibles dès la maternelle pour certains.
La collaboration de LaPsyDé et Lea.fr a donné un travail fructueux "Du Labo à la classe". Les enseignants des classes ont eu la possibilité de participer à l'expérimentation d'outils. Les fruits de cette collaboration sont deux mallettes : "Entrainer le cerveau à résister", LETANG Marie et GARBARG CHENON Julien, Editions Nathan et Léa.fr. Une mallette est dédiée de la PS au CP et une autre du CP au CM2. Vous pouvez y trouver un guide pédagogique, des cartes de jeux, un poster et des attrape-pièges.
c- Pour développer la flexibilité cognitive ou mentale
C'est la capacité à modifier une réponse en orientant son attention différemment. Elle permet de changer de point de vue, de modifier sa stratégie ou de passer d'une idée à une autre. La flexibilité est mobilisée dans les situations où notre cerveau doit s'adapter à un changement (de règle, de stratégie de résolution de problème ou d'activités). Cette fonction exécutive s'appuie sur les deux précédentes car pour être capable de s'adapter, il faut maintenir les principales informations dans sa mémoire de travail et être capable d'inhibition en bloquant certaines de ces informations qui ne sont plus adéquates.
Dès l'âge de 2 ans et demi un enfant est capable de flexibilité sur des tâches simples de changement de consigne notamment. A partir de 4 ans et demi, il est capable d'ajuster son comportement entre deux activités successives. Et c'est à partir de 7 ans seulement qu'il est capable d'être flexible entre chaque essai de résolution de problème. Cette fonction exécutive est couteuse pour le cerveau et son développement est lié à la maturation des réseaux neuronaux engagés dans les deux autres fonctions que sont la mémoire de travail et l'inhibition.
Qu'en dit le socle commun de connaissances, de compétences et de culture? Domaine 3 : Il sait remettre en cause ses jugements initiaux après un débat argumenté, [...].
En classe de nombreuses situations permettent de développer cette fonction. Cela peut être une variante ajoutée dans un jeu, dans une consigne d'exercice ou une démarche expérimentale en sciences pour les plus grands. Des jeux permettent aussi de développer notre flexibilité, c'est le cas des jeux de carte (UNO, 6 qui prend) dans lesquels notre jeu dépend de ce que le joueur précédent a joué, du jeu Clac-clac et de Story Cubes entre autres.
d- Pour développer la planification
C'est la capacité d'établir le but et le chemin pour l'atteindre en le découpant en étapes. Cela est en étroite collaboration avec l'attention, car le fait de découper une tâche complexe permet de maintenir son attention sur des tâches simples successives ou simultanées. Et pour planifier, l'apprenant a besoin d'inhiber et de la mémoire de travail. Le coût pour le cerveau est moins important en utilisant la planification et la réalisation de la tâche plus efficace si le but et les étapes sont bien identifiées. La notion de gestion du temps apparait aussi ici.
Dans le programme ATOLE , une séquence est dédiée à ce que Jean-Philippe Lachaux appelle les Maximoi et les Minimoi. Les Maximoi ont comme rôle de découper une tache complexe en mini-missions. Chacune d'elles est exécutée par un Minimoi.
Qu'en dit le socle commun de connaissances, de compétences et de culture? Domaine 2 : "L'élève se projette dans le temps, anticipe et planifie ses tâches. Il gère les étapes d'une production, écrite ou non, mémorise ce qui doit l'être."
En classe, la verbalisation des étapes se fait dès la maternelle lors de l'accueil dans la classe ou de l'apprentissage du lavage des mains par exemple. Ce séquençage se poursuit ensuite en élémentaire dans la réalisation de consignes qui deviennent de plus en plus complexes, dans la réalisation d'un plan de travail avec des étapes obligatoires, dans des activités motrices nécessitant un enchainement précis, dans la résolution d'un problème à étapes, s'organiser pour ses devoirs (temps passé sur chaque tâche, anticiper)... Vous l'aurez compris ceci se vit au quotidien dès le plus jeune âge et se poursuit à l'âge adulte. Le passage par le langage oral est primordial pour ensuite aller vers de l'automatisation.
Voici des exemples de jeux ou activités qui permettent de développer la planification : Les jeux de construction en suivant un plan (Lego, Mobilo...), les jeux de logique (Lièvres et renards, Antivirus, Cache-noisette, Tropicano,...), les jeux de programmation (Le robot abeille Beebot, Scratch, Tuxbot, Tricky Track...).
e- Pour développer l'attention.
C'est la capacité à maintenir son attention sur un but ou une tâche, volontairement sans être gêné par des perturbateurs internes (petite voix, préoccupations...) ou externes (bruit de la classe, de la cour). Ce temps d'attention est plus ou moins long en fonction de la tâche à réaliser et si cela relève de l'attention soutenue, sélective ou partagée. Ce maintien attentionnel permet de favoriser la mémorisation, la compréhension et la perception lors des apprentissages.
Le programme ATOLE développé par Jean-Philippe Lachaux donne des pistes pour aider les élèves à prendre conscience de leur attention en fonction d'une tâche à réaliser et de l'importance de son maintien (l'expérience de la poutre, la stratégie du PIM) et ce dès la maternelle.
Du côté des activités de classe il y a tous les jeux de construction avec plan de montage, les Mémory, les "Cherche et Trouve", le Lynx, le Dobble, Texto!, Top that ou Gagne ton papa, entre autres... qui permettent de maintenir l'attention sur un temps plus ou moins long.
Les 5 fonctions exécutives développées ici ont leur importance dans les apprentissages de tous. Il est donc nécessaire d'en tenir compte et de les soutenir en classe et d'autant plus avec des élèves en difficulté pour lesquels ces fonctions sont souvent mises à mal. La collaboration des chercheurs et des enseignants sur le terrain montre aussi la possibilité de ces actions, quel que soit l'âge, l'effectif ou le milieu.
Bibliographie /Sitographie
Livres :
HOUDE Olivier et BORST Grégoire (et de nombreux contributeurs). Le cerveau et les apprentissages (dans la collection "Les repères pédagogiques"). Nathan et Lea.fr, 2018, 335p.
BERTHIER J-L, BORST G, DESNOS M, GUILLERAY F. Les neurosciences cognitives dans la classe. Guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques. ESF Sciences Humaines, 2018, 269p.
JENSEN E. Le cerveau et l'apprentissage(Mieux comprendre le fonctionnement du cerveau). Chenelière Education, 2001, 137p.
EUSTACHE Francis et GUILLERY-GIRARD Bérengère. La neuroéducation. La mémoire au cœur des apprentissages. Odile Jacob, 2016, 172p.
LETANG Marie et GARBARG CHENON Julien. Entrainer le cerveau à résister (Une démarche pédagogique, des activités). Nathan et Lea.fr, 2020, 142p.
Sites :
ATOLE : https://project.crnl.fr/atole/
Sciences cognitives: https://sciences-cognitives.fr/
Institut des Troubles d'apprentissage: https://institutta.com/mediatheque/fonctions-executives
Image d'en-tête: majcot (Freepik)