Avec l'aide des formations, du bouche-à-oreille entre enseignants, ou des réseaux sociaux, il devient plus simple et moins intimidant d'innover dans ses pratiques pédagogiques. Si les réseaux sociaux ont parfois tendance à surexposer certaines façons de faire ou certains produits, ils peuvent parfois faire découvrir des actions originales et plus isolées, mais pas moins intéressantes.
Je me souviens d'une publication Instagram sur le marché de connaissances, paru il y a déjà un certain temps, mais qui avait attiré mon attention. Au vu du petit sondage sur le sujet, je faisais partie des 74% des personnes n'en ayant jamais entendu parler.
Cela m'a permis de découvrir un concept intéressant qui ne demande qu'à être testé en classe, si vous avez l'envie de vous lancer !

Qu'est-ce qu'un marché de connaissances ?

Dans ce "marché", les élèves "clients" (ou "receveurs") se déplacent sur différents stands pour acquérir des savoirs ou des savoir-faire auprès d'élèves "vendeurs" (ou "passeurs"), puis les rôles sont inversés.

Un marché de connaissances implique bien des transactions, mais gratuites ! Emmanuel Soccodato, enseignant et membre de l'association Désirs d'école, parle d'une "économie de désir" : les marchés de connaissances fonctionnent sur la base du don parce que chacun a l'envie d'apprendre et l'envie d'enseigner/partager.

Un marché de connaissance à l’Espé de Lyon
« Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose. » « Si tu ne sais pas demande, mais si tu sais partage ! »
Sur le site de Désirs d'école, vous trouverez des témoignages sur la mise en place de marchés de connaissances à l'ESPE ou en école primaire.

Les grands principes en sont les suivants :

Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose.
Si tu ne sais pas demande, mais si tu sais partage.
Un savoir reste entier même s’il est partagé.

Comment mettre en place un marché de connaissances ?

Préparation avant le jour du marché

Comme tout grand projet, on ne se lance pas dans un marché de connaissances au hasard. L'investissement est important et vous devrez être motivé et à l'aise avec votre groupe d'élèves !

Concernant l'organisation de votre marché, vous devrez :
- Etablir l'offre et la demande : liste de ce que vos élèves veulent apprendre, et de ce qu'ils sont prêts à partager. En version simplifiée, vous pouvez établir seulement une liste des apprentissages à partager. Cependant, certains stands peuvent être vides si des élèves partagent un savoir qui n'intéresse pas les autres.
- Former des groupes réunissant les élèves avec des compétences ou intérêts communs. Un groupe d'élève = 1 stand. Il peut y avoir entre 1 à 3 vendeurs, et jusqu'à 4 clients par stand.
- Préparer et organiser les stands. Vous pouvez distribuer une fiche de préparation aux élèves. Ils pourront y inscrire les élèves de leur groupe, les activités à préparer, le matériel à prévoir, déterminer les critères qui permettront de valider ou non les compétences des clients...Laissez-leur du temps : au minimum 15 jours pour s'organiser.
De votre côté, gardez une fiche-guide pour noter les stands, le nom des élèves concernés, réfléchir à l'emplacement des stands (en fonction des besoins pour des prises, un frigo, la luminosité requise...)
Les élèves doivent prévoir eux-mêmes le matériel nécessaire et son installation (si possible). Pensez à fournir une boîte ou un lieu de stockage facilement identifiable.
- Communiquer autour du projet : réalisation d'affiches, d'articles de blog, etc. pour prévenir du lieu et des classes concernées.

Cette trame peut évoluer selon certaines variables :
- Participants : élèves d'une seule classe ? De l'école ? Un mélange d'adultes et d'enfants?
- Choix du système de validation des compétences : brevets de réussites, tampon sur une feuille, feuille d'arbre à accrocher à un arbre collectif...
- Choix des repères pour distinguer clients et vendeurs : pas de repère, gommettes, badges, numéro...
- Etayage de l'enseignant : intervenir si on repère de gros problèmes de préparation avant le marché pour trouver une meilleure solution, ou laisser les élèves se confronter à ce problème le jour du marché pour faire un bilan ensuite ?
- Pour les experts, les habitués ou les joueurs, complexifier les attentes : introduire une monnaie fictive pour le marché, choisir un thème donné (cuisine, arts, le corps, la mécanique ...), etc.

Le jour même

On peaufine l'installation des stands : organisation des tables, repères visuels pour les ateliers, rappel des règles de déplacements et de sécurité.

On propose en général deux sessions (d'environ 45 minutes) pour que les élèves puissent être alternativement vendeurs ou clients.

Sur chaque stand, les vendeurs présentent des activités d'apprentissage avec démonstration à l'appui. Ils proposent des phases d'entraînement aux clients et doivent les évaluer à la fin de l'activité.  Les élèves ont une feuille de route pour garder une trace des stands visités et de leurs brevets.

L'enseignant garantit le bon fonctionnement et n'intervient pas dans les différents stands. Il s'assure de la sécurité, des changements de session et vérifie que tout est bien rangé à la fin du marché.

Après le marché

Un bilan est fait en classe en s'aidant des fiches de préparation et des fiches de route des élèves.

Les apprentissages travaillés lors d'un marché de connaissances

Au niveau de la méthodologie

Tout d'abord, l'organisation des stands demande une bonne organisation, de la rigueur et de l'anticipation ! Mais cela ne suffit pas : les élèves doivent aussi réfléchir à l'esthétique de leur stand et à un point d'accroche. Il ne sert à rien d'avoir une organisation parfaite si son stand n'attire personne

En action sur les stands, ils réalisent qu'une même démonstration n'a pas les mêmes effets sur tout le monde, ou que certains élèves n'utilisent pas les mêmes méthodes pour arriver à un même but. Les clients n'apprenant pas forcément comme les vendeurs, chaque élève peut déceler des particularités dans sa manière d'apprendre et commencer à repérer ce qui est aidant ou au contraire ce qui le bloque dans ses apprentissages. Il repère aussi chez les autres des points d'appui pour leur venir en aide, ou pour repérer ceux avec lesquels il pourrait former un groupe de travail efficace.

Les vendeurs doivent faire preuve d'adaptation pour se faire comprendre des clients : quelle démonstration faire, quels mots utiliser ? Comment aider un élève qui n'a pas compris sans redire ou refaire la même chose ?
Ils doivent aussi se mettre d'accord sur les critères qui leur permettront de juger si un client a réussi l'activité.

La notion de "savoirs" est réévaluée : il n'y a plus de hiérarchie des savoirs puisque ce n'est pas l'école ou l'enseignant qui détient les connaissances. Chacun détient au moins un talent que les autres n'ont pas, et tout le monde peut enseigner.  Les savoirs scolaires ont autant d'importance que les savoirs extrascolaires.

De plus, il n'y a plus de système de punition/récompense : ils réalisent que savoir peut donner du pouvoir, qu'il ne s'agit pas juste d'un moyen d'avoir de bonnes notes pour faire plaisir à quelqu'un d'autre.

La connaissance est la seule chose qui s'accroît lorsqu'on la partage (Sacha Boudjema)

Sur le plan social et au niveau du développement personnel :

Les élèves apprennent à affirmer leur identité en mettant en valeur leurs talents, et en acceptant de partager leurs passions, leurs savoirs et leurs compétences avec les autres.
Ils peuvent avoir une image plus positive d'eux, être reconnus dans ce qu'ils font et gagner en confiance.

En mêlant plaisir et interactions, les élèves sont plus curieux et réceptifs aux apprentissages. On peut leur faire remarquer que pour atteindre un but, faire des efforts n'est pas forcément synonyme de souffrance.

Ils découvrent leurs camarades sous un autre angle et peuvent se trouver des passions communes, former des alliances.

Sources

Comme je le disais en introduction, mes recherches sont parties d'une story Instagram de Tablettes et Pirouettes sur la classe coopérative, que vous pouvez retrouver ci-dessous.

classe coop. - @tablettesetpirouettes
See Instagram ‘classe coop.’ highlights from Delphine Thib (@tablettesetpirouettes)
Compte Instagram de Tablettes et Pirouettes

Cet article de Bruce Demaugé-Bost m'a bien éclairée sur le sujet. Il y explique chaque étape en détail, et vous y trouverez une bibliographie et webographie précise.

L'article de l'Ecole de mes rêves présente aussi des ressources pour mettre en place un marché de connaissances, de même que l'article d'ICEM34. Vous y verrez des photographies et des vidéos d'un marché de connaissances mis en place dans une école.