Suite aux contraintes sanitaires imposées en intérieur avec la crise du Covid, l'enseignement en extérieur s'est fortement développé ces deux dernières années. Cependant, certains enseignants s'étaient déjà lancés dans cette pratique auparavant : c'est le cas de Sophie, qui accepte aujourd'hui de témoigner de son expérience d'enseignement en extérieur.

Bonjour Sophie, peux-tu te présenter ?

Bonjour à tous !
J’enseigne depuis 1999 avec une sensibilité pour la maternelle découverte pendant mon année de suppléances (1996-1997).
Je suis en poste en maternelle depuis 2003 et en réelle remise en question pédagogique depuis 2014 avec des pédagogies de type éducation positive et Montessori. J’ai aussi enclenché un travail autour du geste d’écriture selon la méthode Dumont et découvert la méthode heuristique des maths dernièrement.
J’ai actuellement une classe de 25 PS-MS dans un secteur rural du haut bocage Vendéen.

On m'a dit que tu étais une adepte des séances d'apprentissage en extérieur. Pour toi, que signifie faire classe dehors ?

Pour moi, faire classe dehors a principalement deux objectifs :

  • répondre aux besoins d’un maximum d’enfants (certains sont mieux dedans et d’autres dehors, comme certains préfèrent les activités encadrées alors que d’autres s’épanouiront dans le libre choix)
  • reconnecter les enfants à la nature dans une époque où l’on vit beaucoup à l’intérieur devant des écrans (faites le test, nous connaissons mieux les symboles des marques que les espèces végétales, moi la première).

Où fais-tu classe avec tes élèves à l'extérieur ? As-tu aménagé des espaces délimités dans l'optique de faire classe dehors, ou au contraire changes-tu souvent d'endroit ?

Lorsque j'ai débuté, avec une collègue sur une autre école, nous nous balisions une matinée par période sur des lieux différents : près d’un étang, dans un espace vert, dans un bois... J’ai aussi, pendant trois ans, mis en place un jardin avec le club du 3ème âge, en sous-groupes, deux fois trente minutes par semaine au printemps.
Puis j’ai eu la chance dans mes deux dernières écoles d’avoir accès à un bosquet à proximité, ce qui multiplie les possibles.
En début d’année scolaire, je commence mes séances sur la cour pour aider les enfants de PS à s’approprier les lieux. Mais très vite nous investissons le bosquet.

As-tu des moments "bornés" dans ton emploi du temps pour la classe dehors ?

Je balise 1h30 tous les mardis matin, ce qui permet aux parents qui le peuvent de s’organiser pour nous accompagner. Mais si une activité et/ou la météo sont propices à aller dehors à un autre moment, je me l’autorise aussi.

Comment sont situées tes séances d'apprentissage en extérieur par rapport à tes séquences d'apprentissage ?

Mes séances dehors ne sont pas forcément en lien avec les activités de classe mais plutôt en lien avec la saisonnalité. Mais bien entendu, les notions travaillées peuvent amorcer une activité ou consolider des acquis.

Peut-on faire classe dehors à n'importe quel moment de l'année ?

J’essaie de faire classe dehors toute l’année. Aux beaux jours, c’est forcément plus facile, mais lorsque le temps est moins favorable, c’est quand même possible avec un bon équipement. Seules des conditions telles qu’une très forte pluie avec beaucoup de vent peuvent nous freiner. Mais de la bruine ne nous empêcherait pas de faire une petite randonnée par exemple.

Photo Senivpetro - Freepik

Quelle organisation ces sorties impliquent-elles : au niveau matériel, dans ta préparation de classe ou dans la communication avec les familles par exemple ?

Dans les fournitures de rentrée, j’ai demandé aux familles de laisser des bottes en permanence à l’école. Suite à la réunion de rentrée, je leur ai aussi transmis des infographies sur les tenues recommandées en fonction des saisons trouvées sur le site du réseau de la pédagogie par la nature (RPPN).
Pour chaque sortie, j’essaie de prévoir environ trois activités dont une de motricité. Pour les deux autres, je pioche dans les différents domaines d’apprentissages : on peut aussi bien faire du langage, que des maths, de l’art ou de l’éveil au vivant.
Je prévois toujours avec moi un sac à dos avec les fiches de renseignements de chaque enfant, une bâche, des mouchoirs en papier, du gel hydroalcoolique, une enceinte Bluetooth. Et ensuite je complète avec du matériel spécifique aux activités prévues. Je n’ai pas besoin de chariot, de bouteille d’eau, trousse de secours, car je suis rarement très loin de l’école, mais cela deviendrait indispensable si nous choisissions d’aller plus loin.

Y a-t-il des enfants qui redoutent de faire classe dehors ?

Les enfants se familiarisent assez vite avec la classe dehors car c’est une activité ritualisée. Ceux qui sont plus craintifs sont mis dans le groupe de l’adulte qu’ils connaissent le mieux.
Avec l’arrivée du froid, c’est un peu plus dur pour certains qui sont moins habitués à être dehors.

Avez-vous des rituels pour la classe dehors ? Sur ton Instagram, j'ai vu que vous preniez tous les mois une photo du tilleul de la cour...

Je ne sais pas si on peut parler de rituels, mais le matin nous nous regroupons pour nous dire bonjour, pour évoquer les activités et présenter les éventuels accompagnateurs. Puis le passage aux WC est obligatoire pour limiter les envies pressantes pendant la sortie.
En fin de séance, comme nous avons la chance d’être dans un cadre sécurisé en bordure de stade, les enfants réclament généralement de traverser le terrain de foot en courant, ils attendent ensuite les adultes dans la cage de but.
Et effectivement, nous faisons une photo par mois toujours au même endroit afin d’observer l’évolution de la nature au fil de l’année.

Photo de Sophie : le bonheur est dans le terrain!

Maintenant que nous imaginons bien tous tes élèves en train de courir, veux-tu partager avec nous un exemple de séance en extérieur ?

Un exemple de séance fin septembre :

  • réaliser un bonhomme avec des éléments naturels
  • rechercher, identifier les chiffres écrits à la craie sur les troncs des arbres
  • jouer à cache-cache

Un exemple de séance fin octobre :

  • réaliser un mandala automnal en land-art dans un cerceau comme repère
  • partager un goûter d’automne (noix, noisettes, châtaignes, figues)
  • jouer avec le parachute qu’on avait en prêt à l’école.

Effectivement, il y a de quoi  faire et je vois que tu ne manques pas d'idées ! Y a-t-il toutefois des domaines d'apprentissages que tu trouves difficiles à adapter à la classe dehors ?

On ne peut pas tout faire en extérieur limité par le matériel ou le lieu, mais on peut aborder tous les domaines d’apprentissage d’une autre façon.

Quels changements d'attitude observes-tu chez les enfants lorsqu'ils travaillent en extérieur ?

Certains enfants plus réservés en classe sont plus spontanés dehors. Globalement, c’est un moment que les enfants aiment bien. Seuls les enfants qui sont vite insécurisés peuvent avoir un peu plus de mal d’où l’intérêt de baliser un lieu et un temps.

Parlons maintenant de "l'après". Les enfants gardent-ils une trace de ce qui a été fait dehors ?

Je retrace ce qui s’est vécu en classe dehors sur le site de l’école pour favoriser l’échange au sein des familles. Cela montre aussi qu’on n’est pas juste dehors pour le plaisir même si les temps de jeux libres y sont importants, mais qu’il y a une réelle visée pédagogique.

Justement, quels bienfaits ou apprentissages observes-tu chez les enfants ?

Le retour en classe après notre sortie est souvent serein, les activités et ateliers qui suivent sont généralement beaucoup plus calmes. Et les enfants acquièrent de l’autonomie pour l’habillage et développent une sensibilité au monde qui les entoure.

Personnellement, qu'est-ce que tu apprécies le plus dans le fait de faire classe dehors ?

J’ai le sentiment de jouer un rôle auprès des enfants concernant la préservation de notre environnement. Il me semble en effet que si on le connaît mieux, si on apprécie y vivre, si on y construit de chouettes souvenirs, alors on aura sans doute davantage envie d’en prendre soin par la suite.

Et les familles, qu'en pensent-elles ?

Dans mon ancienne école, les retours ont été positifs car les familles me connaissaient bien et avaient aussi mesuré mon évolution pédagogique après 17 ans.
J’appréhendais donc un peu de le mettre en place sur ce nouvel établissement en septembre. Mais à l’issue de la réunion de rentrée, je n’ai eu que des réactions enthousiastes. Et je peux toujours compter sur un à trois volontaire(s) pour nous accompagner.

Photo Freepik


On sent que le sujet te passionne, c'est vraiment intéressant d'avoir une vision concrète de ta pratique, en tout cas ça donne vraiment envie d'essayer ! Lorsque tu décris ce que tu mets en place, on a l'impression que ça coule de source, mais tu pratiques cette manière d'enseigner depuis un moment déjà. A ce propos, comment en es-tu arrivée à la classe dehors et comment se sont passés tes premiers pas de "baroudeuse pédagogique" ?

J’ai commencé avec une collègue d’une école voisine. N’étant pas seule sur mes premières tentatives d’école dehors, c’était plus facile d’oser se lancer. Nous prévoyions à deux les activités, le matériel indispensable, le nombre d’adultes nécessaires. Et comme nous allions un peu plus loin géographiquement, les parents déposaient directement les enfants sur le site le matin, et nous rentrions à pied pour l’heure de la cantine.
Cela m’a donné confiance pour oser continuer seule suite au COVID où le brassage avec d’autres classes n’était plus autorisé.
Sur l’école précédente, ma fierté a été de réussir à mobiliser les parents pour sécuriser le bosquet attenant à l’école qui avait un accès direct sur la route.
Et cette année, dans le nouveau lieu que nous avons investi, nous sommes ravis avec les enfants d’avoir sollicité la municipalité dans le but d’aménager le bosquet. La réponse qu’on nous a apporté était affirmative : on nous a préparé des rondins pour nous asseoir et même des toilettes sèches.

En effet, ça doit être stimulant de voir que tous les acteurs autour de l'école s'impliquent dans ce projet. Tes retours d'expérience sont vraiment positifs et je pense que tu as dû motiver plus d'un enseignant prêt à se lancer. Quels conseils pourrais-tu d'ailleurs donner à un professeur des écoles qui débute la classe dehors ?

Je pense que comme pour tout changement pédagogique, la méthode des petits pas est la meilleure. Il ne faut pas vouloir aller trop vite ou voir trop grand. Il faut d’abord tenter des petites choses sur la cour pour commencer. Puis quand on est prêt à aller plus loin, il est nécessaire de repérer un lieu de verdure : un parc, un bois... à proximité de l’école pour faciliter les déplacements et ritualiser ce temps de classe dehors. Enfin, il est nécessaire de s’assurer de l’aval de la hiérarchie et intégrer les parents au projet en évoquant les objectifs et les modalités.

Pour terminer, quelles sont tes sources d'inspiration pour tes séances en extérieur ?

Concernant mes sources d’inspiration, il y a d’abord eu les livres : Les enfants des bois de Sarah Wauquiez (cycle 1) et L’école à ciel ouvert de la fondation Silviva (cycles 2-3).

Puis je me suis créé un compte Instagram (fisso85maitresse) pour partager ma pratique mais aussi pour l’enrichir grâce aux publications que je sélectionne dans ce domaine, dont voici quelques comptes : @edith.mes ptitesrecres ; @celine.l.14 ; @emilie_g44 ; @veroetmammouth ; @c.est.la.classe ; @k2.karine

Et le site “le réseau de la pédagogie par la nature”, même si je n’en suis pas à leur stade, est un vivier qui donne de vraies pistes d’organisation.

J'ai aussi partagé mon expérience avec d’autres écoles du réseau Enseignement Catholique de Vendée, c’était un échange très enrichissant. Prochainement, je dois suivre une soirée d’échanges en Visio sur le sujet, et avec mon école nous allons nous questionner sur l’aménagement de la cour dans le cadre d’un appel à projet.

Merci beaucoup Sophie, pour ton témoignage sur la classe dehors et ces ressources !