Dans la série des gros mots de l'Education, voici venir la ZPD, le concept qui donnerait des boutons aux enseignants allergiques aux sigles. Vous avez appris par cœur ce qui se cachait derrière les lettres ESPE, PPRE, ULIS, RASED et peut-être même CAPPEI, vous n'allez quand même pas vous décourager devant une toute petite ZPD qui zozotte.

Et non, on ne parlera pas du projet d'aéroport de Nantes (ça, c'est la ZAD).

Décortiquons les termes de ce concept...

Les lettres ZPD désignent la Zone Proximale de Développement, parfois aussi appelée Zone de développement prochain ou Zone de Proche Développement. Ce dernier terme me semble plus concret et plus simple à comprendre que le premier. Le "proche développement" signifie qu'il ne manque pas grand chose à l'élève pour développer ses compétences, qu'on est proche du progrès : une capacité qu'il va bientôt acquérir, une réflexion qui est sur le point d'aboutir, la solution à un problème qu'il est à deux doigts de trouver...

Et si on parle de "zone", c'est qu'il existe des bornes délimitant ce moment où l'élève est réceptif à un nouvel apprentissage. La Zone Proximale de Développement est délimitée d'un côté par ce que l'élève sait déjà faire tout seul, ou connaît déjà d'une part ; et par ce que l'élève n'est pas encore prêt à apprendre de l'autre (voir schéma ci-dessous).

Schéma réalisé sur Canva.fr

Comment est née l'idée de la ZPD?

Posons le contexte...Dans les années 1920, plusieurs courants de pensée existent autour de la psychologie de l'enfant : la psychanalyse de Freud, le behaviorisme de Watson, les stades du développement de Piaget...C'est à ce moment que Lev Semionovitch Vygotski commence ses recherches sur la construction de la pensée chez l'enfant.

(à la fin de cet article, je n'aurai plus besoin de vérifier 15 fois sur Google où mettre le y et le i dans Vygotski)

On a souvent tendance à opposer les travaux de Vygotski et de Piaget. Pourtant, Vygotski s'est inspiré des travaux de Piaget...quant à Piaget, il n'a découvert que sur le tard les recherches du psychologue soviétique : ce dernier est mort jeune, et ses opinions politiques marxistes ont freiné la diffusion de ses travaux en Europe et en Amérique.
La comparaison se fait essentiellement autour d'une question que ce sont posée les deux psychologues : comment se forme la pensée de l'enfant et à quel moment est-il prêt à acquérir de nouvelles connaissances?

Jean Piaget en 1967 - Image tirée de Wikipedia

Pour Piaget, on va essayer de la faire courte vu que ce n'est pas le sujet principal de l'article. Je suis sure qu'il aurait été ravi de vous en expliquer les détails autour d'une bière s'il n'était pas mort depuis 40 ans...
Il pense que l'enfant passe par des phases de déséquilibre face à une nouvelle situation...avant "l'équilibration", c'est à dire le développement d'un nouveau savoir (ça implique une histoire de schèmes, d'accommodation/assimilation, tout ça tout ça, mais on a dit qu'on la faisait courte). Pour lui, l'apprentissage se fait par "bonds", ou par paliers successifs. Piaget a regroupé ces paliers en quatre grands stades de développement : le stade sensori-moteur de la naissance à 18 mois, le stade préopératoire de 18 mois à 7-8 ans, le stade des opérations concrètes de 7 à 12 ans, et le stade des opérations formelles à partir de 11/12 ans.
Ainsi, Piaget pense que l'enfant doit atteindre tel ou tel stade pour réaliser de nouveaux apprentissages : par exemple, l'enfant n'est pas prêt à faire des opérations avant ses 7 ans. Même si sa théorie reste intéressante sur certains points, elle est remise en question désormais : il existe des enfants de 5 ans qui apprennent à lire et à faire des opérations bien avant l'âge "estimé".

Lev Vygostki - Image tirée de Wikipedia

C'est ici qu'arrive notre cher Lev. En marxiste convaincu, il insiste fortement sur la dimension sociale de l'apprentissage. Il pense que l'enfant développe sa pensée et son langage grâce aux interactions avec les adultes ou avec des enfants qui maîtrisent déjà un savoir qu'il n'a pas.
Vygotski ne rejette pas les travaux de Piaget : il continue de penser qu'au-delà d'un certain stade, l'enfant n'est pas prêt. Mais il estime qu'avec une aide extérieure (une bonne médiation), un enfant peut résoudre un problème supérieur au stade où il se trouve. C'est ainsi qu'est né le concept de la Zone Proximale de Développement.

Vygotski expose toute sa théorie sur le sujet dans Pensée et langage , écrit en 1934. Vous pouvez le lire si vous voulez, mais je vous préviens, c'est imbuvable ça se lit un peu moins bien que du Marc Lévy.  Quelques extraits ici :

Le psychologue doit nécessairement, pour déterminer l'état du développement, prendre en considération non seulement les fonctions venues à maturité mais aussi celles qui sont au stade de la maturation, non seulement le niveau présent mais aussi la "zone de proche développement". (Lev Vygotski, Pensée et langage)
Ce que l’enfant est en mesure de faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain. (Lev Vygotski, Pensée et langage)

Quelques détails supplémentaires sur la ZPD

Revenons sur l'élève en tant qu'être social. Vygotski a travaillé majoritairement sur le rôle du langage dans le développement de la pensée de l'enfant, et donc sur la place primordiale qu'ont la famille et l'école dans ce développement cognitif.
En effet, la notion de ZPD implique des échanges avec les adultes, durant lesquels ceux-ci posent des mots sur des objets, des concepts. Ils donnent des méthodes, des explications. L'enfant doit aussi apprendre à verbaliser ce qu'il fait pour se faire comprendre, en ajustant ses mots si besoin. Quand vous parlez à voix haute, vous êtes toujours en train de construire votre pensée ! Peu à peu, cette réflexion s'intériorise, jusqu'à devenir "la petite voix" dans la tête (je suis désolée de vous annoncer que ce n'est pas la fée clochette qui a décidé de crécher dans votre cerveau)!

La ZPD correspond aux possibilités d'apprentissage d'un élève, son "potentiel". Elle n'est donc pas la même en fonction des élèves (même si on peut repérer des groupes d'élèves qui ont à peu près la même ZPD), et n'est pas fixe pour chaque individu non plus...Elle se déplace sur la "ligne de développement" en fonction de vos progrès, et peut diminuer ou s'agrandir en fonction de l'aide dont vous avez besoin ou non.
L'apprentissage peut accélérer le développement, comme un entraînement du cerveau...à condition de rester en lien avec le développement physiologique.

En fait, la ZPD, c'est la base de la pédagogie différenciée!

C'est bien beau tout ça, mais à quoi ça sert?

Ce sont vous les enseignants, les pros, qui allez évaluer où se situe la Zone de Proche Développement de vos élèves ou d'un groupe d'élèves. La ZPD donne une explication théorique à l'hétérogénéité en classe : tout le monde n'apprend pas au même rythme, ni au même moment!
A vous de jouer....Vous êtes l'un des médiateurs, celui qui va être capable de secouer un peu cette ZPD pour la faire se déplacer!

ça paraît tellement facile comme ça...mais il va falloir évaluer, observer, tâtonner par essais-erreurs, comme vos élèves, pour trouver le bon équilibre, la bonne stratégie : l'aide qui permet à l'élève d'avancer sans le décourager. Parfois, on ne trouve pas, ou on met beaucoup, beaucoup de temps...ça arrive. On vous rappelle qu'on part de la théorie, qui marche super bien dans le monde des licornes à paillettes, mais qui est un peu plus difficile à mettre en place dans le monde réel.
Vous aussi, vous allez définir la zone de proche développement de vos compétences à évaluer la zone de proche développement des autres (c'est ce que j'appellerais la quête ultime vers la ZPD).

La ZPD est liée à la motivation de l'élève : si vous savez ce qu'ils savent déjà faire tout seul, vous allez commencer par leur proposer de tout petits défis, qu'ils vont réussir très vite avec peu d'aide. Vous les mettez en confiance et vous leur "ouvrez l'appétit" en leur montrant que c'est possible. Leur zone de confort va se déplacer petit à petit et vous allez pouvoir augmenter vos exigences. Enfin, quand ils auront acquis une assurance assez stable dans un domaine, vous allez retirer progressivement votre aide, jusqu'à ce qu'ils soient autonomes.

Et vous recommencez avec une autre notion, et ainsi de suite! (c'est l'histoire de l'enseignement, le cycle éternel).

Tout est une question de timing. Si vous proposez dès le début des situations à la limite de sortir de leur zone proximale de développement, cela va être inconfortable pour eux, ils vont se décourager et abandonner.

Situation typique d'un apprentissage dépassant la ZPD

A l'inverse, si vous avez peur de leur proposer des activités trop difficiles et que vous restez toujours dans la zone du "déjà là" sans rentrer dans la ZPD, vos élèves finiront par s'ennuyer. Ils n'apprendront rien et ils finiront tous par ressembler à des Blobfishs. Et personne ne veut ça.

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Alors maintenant, y'a plus qu'à!