Il paraît que l'herbe est toujours plus verte de l'autre côté de la colline. En matière d'éducation, l'autre côté de la colline est souvent représenté par les pays scandinaves : on vante les mérites de leur école depuis un bon nombre d'années maintenant. Quelle est la spécificité de leur système éducatif et pourquoi en parle t-on autant?
Je choisis aujourd'hui de vous parler de la Suède, parce que j'ai la chance d'avoir pu faire des observations en écoles dans ce pays en février 2010 (merci à mon centre de formation et aux suédois qui nous avaient accueillis). Cela remonte à quelques années maintenant, mais les fondamentaux du système éducatif sont toujours plus ou moins les mêmes aujourd'hui. Autant partager cette expérience (et quelques photos) avec vous!
Comment est organisé le système éducatif en Suède?
Un premier point factuel tout d'abord pour comprendre le fonctionnement des écoles suédoises :
La förskola est un mélange entre jardin d'enfants et école. L'instruction d'un an à 6 ans n'est pas obligatoire, mais comme en France, une grande majorité des enfants fréquente ces écoles. La dernière année de förskola est un cours préparatoire, permettant de faire des ponts avec l'école primaire.
Il n'y a pas vraiment de séparation école primaire/collège en Suède : toute la scolarité obligatoire peut se faire dans le même établissement (Grundskola). Les élèves ont le même enseignant pour toutes les matières les premières années du primaire (au moins pendant 3 ans). A partir de la 7e classe (environ 14 ans), les cours sont dispensés par des professeurs spécialisés dans une discipline, comme au collège en France.
Les écoles sont en majorité gérées par les communes, ce qui peut être source de disparités suivant les ressources de chacune. Il existe également des écoles libres (Friskolan) proposant des enseignements alternatifs : pédagogies particulières, écoles confessionnelles, ... Ces écoles sont gérées par des fondations, des associations, des sociétés. Grande différence avec notre système, elles restent totalement gratuites pour les parents. Le financement se fait par "chèques éducation" distribués aux familles. Il n'y a pas de carte scolaire non plus : les familles peuvent choisir l'école de leur(s) enfant(s), sans frais supplémentaires, et quel que soit son emplacement (dans la limite des places disponibles).
La concurrence est donc de mise entre les différentes écoles qui ont tout intérêt à se démarquer. C'est pourquoi beaucoup d'écoles font le choix de développer un profil particulier : cours donnés en anglais, classes culturelles, etc. Les élèves ont beaucoup de matériel à portée de main, et les écoles sont pensées pour que les élèves se sentent le mieux possible : salle de repos avec fauteuils, chaises ergonomiques, coins de classe aménagés (calmes, pour le travail en groupe, coin TBI...), animations sur les temps de pause...
Petit détail "cosy" qui compte : à l'école suédoise, on enlève ses chaussures, qu'on soit enseignant ou élève!
Concernant les gymnasieskola, je n'en ai pas observé. Les élèves choisissent un cursus qui est soit préparatoire (équivalent de nos filières scientifiques, littéraires...), soit professionnel (équivalent de nos bacs pros). Les cursus préparatoires proposés sont : économie, esthétique, sciences humaines, sciences naturelles, sociologie. La scolarité, même si elle n'est plus obligatoire, reste gratuite. Ce sont les notes reçues qui déterminent l'accès aux cursus nationaux. Mais des "cursus d'introduction" sont proposés pour ceux qui n'ont pas eu la moyenne pour les cursus nationaux : par exemple il existe des cursus d'introduction linguistique pour les primo-arrivants.
Quel est le rythme scolaire des enfants suédois?
En maternelle, les horaires d'ouverture sont établis en fonction des horaires de travail des parents, pour être en mesure de proposer des places à un maximum d'enfants. Les enfants ont environ trois heures de "cours" dans la journée.
En école primaire, les élèves ont école du lundi au vendredi. Le nombre d'heures de cours est fixé au niveau national, les horaires dépendent ensuite des écoles et de l'âge des enfants. Culturellement, la journée suédoise en général commence plus tôt qu'en France : l'école démarre entre 8h et 8h30 et se termine entre 14h30 et 16h selon l'âge. La pause méridienne dure une heure, le repas est pris entre 10h30 et 11h30 selon les services : au moins, mon estomac n'avait pas le temps de gargouiller! Il est habituel que les enseignants mangent avec les enfants.
En parallèle des écoles, des centres de loisirs (fritids) accueillent les enfants de 6 à 13 ans quand la journée d'école est finie ou pendant les vacances. Le lien avec les écoles est assez fort : le personnel de ces centres peut intervenir pendant les cours parfois. Les bâtiments sont souvent dans l'enceinte de l'école, le plus près possible sinon.
L'année scolaire commence mi-août et se termine mi-juin. Elle est divisée en deux semestres : le semestre d'automne et le semestre de printemps.
Quel est le contenu des programmes d'école suédois? Comment travaille t-on dans une classe suédoise?
L'une des grandes caractéristiques des programmes suédois...c'est qu'ils ne donnent pas de programmation. Ils présentent des objectifs à atteindre tout au long de la scolarité obligatoire, sans mention de niveau ou d'âge. On laisse donc les élèves avancer à leur rythme : les enseignants rédigent un plan de développement individuel chaque année, pour chaque enfant. Le système éducatif met très en avant le fait de donner des responsabilités à l'enfant, de le laisser se fixer ses propres objectifs. Les feedbacks avec l'enseignant sont importants pour faire le point et guider l'élève si besoin. Pour faire une comparaison, en primaire le travail est très inspiré de la pédagogie Freinet avec les plans de travail et les ateliers auto-correctifs. L'accent est également mis sur le développement de l'esprit critique et l'expression des élèves.
En maternelle, les enfants sont responsabilisés et font un maximum de tâches du quotidien seuls. Je me souviens d'un enfant de 3 ans, enfilant patiemment, sans aide, pendant 25 minutes, son manteau, ses gants, ses chaussures, son bonnet, son écharpe...pour aller en récréation cinq minutes.
Les enseignants font confiance aux élèves : par confiance, j'entends que globalement, davantage de libertés sont accordés aux élèves de Suède par rapport aux élèves de France. C'est probablement la partie la plus déroutante lorsqu'on découvre une classe suédoise : ce qui leur paraît banal serait parfois inconcevable dans nos classes. Par exemple, laisser les élèves, même les plus jeunes, manipuler des outils potentiellement dangereux (cutters, scies, perceuses) est admis. Quand on évoque la possibilité d'un accident, au final ceux-ci sont extrêmement rares, et s'ils arrivent...c'est la vie! Autant vous dire que quand on raconte que les élèves doivent aller sous le préau quand il pleut, les enseignants suédois se moquent bien gentiment de nous.
Il n'y a pas toujours non plus de barrières autour de l'école : nous avions posé la question aux enfants de l'école. Ils nous avaient parlé d'une sorte de ligne invisible qu'ils ne dépassaient pas.
Enfin, il y a une certaine tolérance dans les actes du quotidien : les élèves s'assoient comme et où ils veulent. Cela commence à arriver en France avec les classes flexibles, mais il y a dix ans c'était encore déroutant. L'ambiance est forcément un peu plus bruyante et remuante. Sur le temps où je suis restée, difficile de faire des généralités et voir si cela a des conséquences positives ou négatives. J'ai vu peu de débordements pendant mon observation : un seul, l'élève a été exclu puis a eu une discussion en retrait avec l'enseignante. J'ai trouvé que la relation enseignant/élève était saine.
Au sein du système éducatif suédois, la construction de l'identité de l'élève est primordiale. Comme on le disait, on lui laisse une grande part d'expression, et la discussion est importante en cas de conflit. Mais l'école suédoise fait également la "chasse aux stéréotypes", plus particulièrement au niveau des genres. En plus des disciplines scolaires "classiques", les élèves ont des cours plus pratiques comme le travail du bois/bricolage, la couture ou la cuisine. La parité y est respectée, et les élèves n'expriment pas du tout de gêne vis à vis de cela. On verra autant, d'un côté, un adolescent broder son prénom au point de croix, que de l'autre, une ado utiliser une perceuse. Notons que les élèves n'ont pas de thème imposé, ils créent selon leurs envies (et possibilités!).
Une autre particularité des apprentissages, c'est qu'ils sont beaucoup basés sur l'observation de la nature. Les suédois aiment être dehors, quel que soit le temps. Par exemple pour les petits suédois : si vous avez entendu parler de la sieste en extérieur, ce n'est pas une légende. Je l'ai vu de mes yeux en plein mois de février, avec des températures négatives. Mais rassurez-vous, je me souviens que l'enseignante avait dit : "quand la température descend sous les -8°, on les rentre". Bon, ça va alors!
En maternelle surtout, mais à l'école primaire aussi, les petites sorties à l'extérieur sont fréquentes. C'est une autre forme d'expérimentation et de manipulation, qui permet de faire le lien avec la vie courante, de concrétiser davantage les apprentissages...et de s'aérer l'esprit.
En général, on se déplace et on bouge pas mal dans les écoles suédoises. Les petits temps de "fitness" sont fréquents en classe pour détendre l'atmosphère. On apprend aux enfants à s'adapter à leur environnement, un peu comme avec les cours de piscine : sauf qu'ici l'apprentissage du patinage remplace la natation (voir des petits de 3-4 ans patiner vaut le détour! Mais ne comparez pas avec votre propre niveau de patinage, vous seriez déçus!). Sur la cour, le floorball remplace le foot.
On s'en rend également vite compte en arrivant en Suède, la très grande majorité des enfants et des adultes parlent l'anglais couramment. Autant vous dire que si vous vous "débrouillez" seulement en anglais, comme moi, vous êtes vite complexés. Les cours de langue sont bien mis en avant. La première langue est obligatoire à partir de la quatrième année de primaire (environ 10 ans) mais un tiers des suédois commencent l'anglais dès la première année. Etrangement, je n'ai pas trouvé les cours de langue extraordinaires, le peu que j'en ai vu me semblait proche des cours en France. Cependant, trois choses paraissent aider : premièrement, on apprend la langue "courante", et non pas une version très littéraire comme en France ; ensuite, la télévision suédoise propose tous les films étrangers en version originale sous-titrée (pas d'adaptation traduite en suédois ou de traduction orale rajoutée par dessus la version originale, quel bonheur!), enfin certains cours, qui ne sont pas des cours de langues, sont donnés en anglais.
Certaines écoles suédoises proposent aussi des cours de langue maternelle pour les immigrés, ou le suédois peut être passé en seconde langue plutôt qu'en langue principale.
Comment sont évalués les élèves?
On dit souvent que les pays scandinaves ne mettent pas de notes. Les notes chiffrées n'existent effectivement pas, mais ils utilisent quand même un système de notation. Auparavant très large ("insuffisant", "passable", "bien", "très bien"), le système a évolué il y a quelques années pour se rapprocher du système de notation américain : il comporte désormais six niveaux A, B, C, D, E, F (A est la meilleure notation possible, E la plus faible). La notation F empêche de valider la matière.
Cependant, ce système est utilisé tardivement comparé à l'école française. Il n'y a pas de notation en maternelle : les enseignants se basent sur leurs observations. En primaire, il n'est proposé qu'à partir de la 6e classe (environ 12 ans), à partir de la 7e dans les écoles spécialisées. Si l'élève ne peut pas être évalué sur une compétence, on utilise le tiret (-). Ces notes sont semestrielles pour chacune des matières étudiées.
Le reste du temps, on l'a vu, l'évaluation est donc principalement basée sur l'observation et la prise de notes, et on incite l'élève à s'auto-évaluer le plus souvent possible. Ainsi, c'est lui qui régule son apprentissage en fonction de ses réussites et de ses erreurs.
Le système semble se durcir à l'arrivée du "lycée". Pour intégrer un cursus national préparatoire, il faut avoir la moyenne en suédois, en anglais en maths et dans neuf autres matières ; pour un cursus professionnel, avoir la moyenne en suédois (première ou seconde langue), anglais, maths et dans cinq autres matières. L'entrée est donc sélective, mais il n'y a pas pour autant de fatalité : on parlait tout à l'heure de cursus d'introduction qui peuvent permettre de se perfectionner pour retenter sa chance. Il est aussi possible pour des adultes de reprendre une formation au côté de lycéens/étudiants plus tard, à n'importe quel moment de sa vie. C'est une pratique assez courante en Suède, c'est pourquoi les étudiants suédois s'attribuent facilement une année sabbatique avant leurs études supérieures.
Comment devient-on enseignant dans le système suédois?
La formation des enseignants a évolué en 2011. Auparavant, ils devaient obtenir un diplôme unique avec une spécialisation. Désormais, les enseignants choisissent leur formation directement en rapport avec le niveau dans lequel ils souhaitent enseigner. Pour être enseignant, il faut donc avoir l'un des quatre diplômes suivants :
- Diplôme d'enseignant d'école maternelle (équivalent d'une licence)
- Diplôme d'enseignant d'école élémentaire. Deux spécialisations sont possibles : l'une dépend de l'âge des élèves, si l'enseignant souhaite enseigner plutôt au début ou à la fin du cycle élémentaire ; l'autre concerne l'enseignement spécialisé (auprès des élèves en situation de handicap ou avec des troubles d'apprentissage). La formation correspond à un master 1 environ.
- Diplôme d'enseignant de disciplines : cela correspond à la fin de l'enseignement obligatoire (équivalent collège) et au gymnasieskola (équivalent lycée). L'enseignant se spécialise dans trois matières pour le "collège" (équivalent master 1), 2 matières pour le lycée (équivalent master 2).
- Diplôme d'enseignant dans l'enseignement professionnel (3 semestres).
Le recrutement est très différent de ce qui se fait en France. Les enseignants n'ont pas de statut de fonctionnaires et ne sont pas titularisés. Le système est totalement décentralisé : ce sont les communes et les établissements scolaires qui publient les postes d'enseignants, les reçoivent et les recrutent. En général, les enseignants obtiennent un CDD.
Une fois en poste, les enseignants n'ont pas d'inspection. Ils sont évalués par le directeur de l'établissement, qui peut attribuer des primes s'il le souhaite.
Ce qui frappe le plus dans "l'environnement enseignant" quand on arrive en Suède, c'est la salle des maîtres. En effet, il ne s'agit pas d'une salle dédiée uniquement aux réunions et à la photocopieuse, mais d'une grande pièce divisée en espaces de travail. Chaque espace accueille un petit nombre d'enseignants (de 2 à 5) avec leur bureau, leurs documents...Ainsi les enseignants travaillent beaucoup plus à l'école qu'à la maison, et cela permet aussi davantage le travail en équipe. Il n'est pas rare non plus de voir des pièces de détente avec des fauteuils confortables, des bouquins, une cuisine avec tout l'équipement nécessaire, etc.
Bonus !
Je n'ai pas trouvé où mettre ces petites anecdotes, mais elles sont de bons souvenirs et sont liées à l'environnement culturel des habitants de la Suède.
La première concerne le Fika, qui est une véritable institution en Suède. Le Fika (verlan de kafi, le café en ancien suédois), c'est le summum de la pause café. Les suédois aiment BEAUCOUP le café et prennent le temps de le déguster, autour d'un goûter. Dans l'école où j'étais, ils prenaient ce temps le vendredi matin. Je vous laisse admirer :
Il manque cependant quelques Kanelbulle (pains à la cannelle), typique de la pâtisserie suédoise. La semla (petite brioche fourrée de Mardi Gras) n'est pas mal non plus.
Deuxième situation qu'on ne peut rencontrer que dans les pays nordiques : le saut dans l'eau (très très) froide. D'après ce que j'ai compris, il s'agit d'une activité proposée aux élèves entre janvier et mars, dans le cadre du sport, et encadrée par une équipe de secouristes. Les enfants sautent tout habillés dans un trou d'eau découpé dans un lac gelé, puis se hissent à l'extérieur à l'aide de pics à glace. Ensuite, il faut courir (histoire de ne pas laisser votre cœur s'endormir!) jusqu'à un abri chauffé pour se changer. Car oui, on ne les laisse pas tout gelés, ces pauvres oisillons!
Mais pourquoi, me direz-vous? Déjà, pour se lancer un défi de taille. Pour l'avoir fait, moi qui ne suis pas une grande courageuse, c'est une grande fierté (même si ma sortie de l'eau ressemblait à un échouage de phoque sur une banquise). Ça fait des histoires à raconter pendant les mornes journées d'hiver. Mais surtout, c'est une activité de prévention. Dans les pays scandinaves, la glace d'un lac qui cède peut entraîner des accidents mortels. Les élèves sautent volontairement dans l'eau (s'ils ne veulent pas, on ne les force pas). On dit que si cette situation se reproduit accidentellement, cet entraînement évite l’effet de surprise qui mène à la panique. On apprend aussi aux élèves les techniques pour s'extirper de l'eau avec les pics à glace...ou aider une personne à le faire. Même si, je vous avoue, il faut penser à se balader avec des pics à glace dans les poches...hum.
Je pense avoir fait le tour de ce qui m'avait marqué lors de mon voyage en Suède. J'ai croisé mes souvenirs avec des recherches plus factuelles sur le système éducatif suédois. Des erreurs dues à une mauvaise compréhension de la langue, à des souvenirs défaillants ou à une évolution du système que j'aurais manquée sont possibles. Il peut arriver aussi de prendre des spécificités des écoles visitées pour des spécificités nationales, même si j'ai vérifié au maximum en lisant d'autres témoignages. N'hésitez pas à nous faire savoir si des corrections sont nécessaires.