Vaste sujet que la précocité intellectuelle ! Depuis quelques années, on en entend beaucoup parler dans les médias, les livres... mais savons-nous vraiment de quoi il s'agit ?
Il ne s'agit bien évidemment pas de mettre les enfants dans des cases mais de définir la notion de précocité intellectuelle et d'en reconnaitre certaines caractéristiques.
Dans les deux prochains épisodes de cette série, vous trouverez des pistes pour repérer les élèves précoces ainsi que des idées d'adaptations à mettre en œuvre lorsque certains d'entre eux rencontrent des difficultés.

Qu'est-ce que la précocité intellectuelle ?

L'intelligence, ce n'est pas seulement ce que mesurent les tests, c'est aussi ce qui leur échappe. (Edgar Morin)

Haut potentiel intellectuel (HPI), surdoué, enfant intellectuellement précoce (EIP), zèbre... les termes ne manquent pas pour désigner ces enfants et témoignent de la difficulté à définir précisément ce qui les caractérise.
Chacun de ces termes révèle un des aspects de ces enfants, mais peut aussi créer des confusions ou entretenir des idées reçues.
L'expression « à haut potentiel », met l’accent sur le fait que l’intelligence de l’enfant prédit, dans une certaine mesure, sa réussite future.
Le terme « surdoué » induit, quant à lui, l’idée d’un excès d’intelligence, donc d’un problème. En anglais le terme équivalent pour cet usage est simplement gifted (doué), qui n’a pas du tout la même connotation.
L'expression « enfant intellectuellement précoce » (EIP), traduit l'idée qu’un enfant plus intelligent que la moyenne de son âge est simplement en avance dans son développement intellectuel. Cette dénomination est celle choisie par l'Education nationale, c'est pourquoi j'utiliserai principalement cette terminologie dans cet article.
« Zèbre » est une dénomination imagée inventée par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin pour désigner ces enfants différents en s'affranchissant des notions de "plus que" ou d'avance.

Le principal critère retenu par l’Éducation nationale pour reconnaitre officiellement qu’un enfant est intellectuellement précoce est l’obtention d’un score supérieur à 130 aux tests de QI (test WISC V pour les enfants âgés de 6 à 17 ans). Ce test permet d'évaluer sa mémoire de travail, sa perception visuelle et auditive, sa capacité de traitement de l'information, de raisonnement et sa connaissance de la langue et de le situer par rapport à un groupe d’enfants du même âge.
La plupart des études épistémologiques estiment que le taux de prévalence des EIP est de 2,3 % , toutes classes sociales confondues, des enfants scolarisés, soit un à deux élèves par classe.

Cependant, la plupart des spécialistes de la précocité s'accordent pour dire qu'il s'agit avant tout d'un fonctionnement cognitif et psychoaffectif différent de la majorité des gens. On ne saurait donc réduire la précocité intellectuelle à un simple résultat chiffré, même si celui-ci est révélateur. Comme le rappelle le Guide d'aide à la conception de modules de formation pour une prise en compte des élèves intellectuellement précoces (MEN) « le QI ne peut rendre compte à lui seul de la diversité des formes de l'intelligence. Le recueil d'autres données psychologiques est nécessaire ».
Certains pays, par exemple l'Espagne, intègrent des indicateurs complémentaires (créativité, motivation, environnement...) à leurs procédures d'identification des enfants à haut potentiel intellectuel .
D'autre part, la notion de seuil pose problème. En effet, si l'on considère que la précocité intellectuelle commence à partir de 130 de QI, que faire des enfants ayant un score de 120 ou de 125 et qui présentent eux aussi des caractéristiques, certes moins prégnantes mais non moins présentes, de "douance" ?
Enfin, la mesure du QI est dépendante du test utilisé et sensible à différents paramètres (conditions de passage du test, état d'esprit psychologique de l'enfant à ce moment là...) et son résultat peut en être faussé.

Quelles sont les explications possibles de la précocité intellectuelle ?

A l'heure actuelle, plusieurs théories tentent d'expliquer la précocité intellectuelle. Il semblerait qu'elle ait une origine neurologique.

Plusieurs études, effectuées à l'aide d'IRM, tendent à démontrer que le corps calleux, qui relie les deux hémisphères du cerveau, est plus dense en fibres nerveuses chez les surdoués. Chaque hémisphère traite l'information d'une certaine manière. L'hémisphère gauche est le "cerveau logique, rationnel", il traite l'information de manière séquentielle (élément par élément) et analytique. L'hémisphère droit est le "cerveau émotionnel", il traite l'information de manière globale, simultanée et intuitive. Cette meilleure communication entre les deux hémisphères conférerait aux enfants précoces la capacité de traiter les informations avec une meilleure synergie.

D'autres études mettent en avant la qualité du tissu glial, composé de cellules qui nourrissent et soutiennent les neurones cérébraux ainsi que l'épaisseur plus importante de la myéline (substance blanche), qui gaine les neurones. Ces deux facteurs favoriseraient également une meilleure fluidité et rapidité du traitement de l'information entre les différentes régions du cerveau (les deux hémisphères, les lobes et le cortex cérébral) chez les enfants précoces.

Par ailleurs, Jean-Claude Grubar, professeur de psychologie expérimentale à l'université de Lille a découvert que, dans un cycle, la phase de sommeil paradoxal (celle des rêves), essentielle pour la mémoire, est plus longue et plus fréquente chez de nombreux enfants précoces. Cette caractéristique leur permettrait une meilleure mémorisation des informations reçues à l'état de veille.

Quelles sont les principales caractéristiques des enfants intellectuellement précoces ?

Les médias nous donnent souvent à voir les deux extrêmes de la précocité intellectuelle : d'un côté, les petits génies qui passent leur bac à 12 ans, ont 160 de QI et à qui tout réussit ou bien de l'autre côté, les surdoués incompris, en échec scolaire, psychologiquement et socialement fragiles. Entre ces deux images "mythologiques", il existe cependant une réalité bien plus disparate, avec une mosaïque de caractéristiques communes et de différences.
La liste que je vous présente ici n'est pas exhaustive et tous les EIP ne présentent pas l'ensemble de ces caractéristiques.

Sur le plan cognitif

  • Des acquisitions précoces : l'enfant a marché, parlé, su lire et compter tôt, etc. Il apprend vite et sans effort.
  • Un pensée fulgurante et en arborescence : l'enfant traite très rapidement les informations et de manière simultanée. Mais il peut avoir du mal à faire le tri et à organiser ses idées.
  • Un raisonnement logico-mathématiques particulier : l'enfant raisonne souvent de manière intuitive, il peut donner des réponses spontanées sans parvenir à justifier son cheminement de pensée.
  • Un mémoire très performante : l'enfant peut mémoriser sans effort et pendant très longtemps des informations qui l'intéressent. Sa mémoire de travail est également plus affutée.
  • La métacognition : l'enfant se pose très jeune des questions existentielles sur la vie, la mort, son identité. Il s'observe aussi en train de penser.

Sur le plan affectif

  • Une hypersensibilité marquée : l'enfant connait une alternance rapide d'émotions intenses et parfois opposées. Il peut être anxieux. Il perçoit les problèmes mais aussi les joies de manière excessive.
  • Une imagination débordante : curieux de nombreux sujets, l'enfant fait preuve d'une grande créativité littéraire, artistique et/ou scientifique. Ses idées sont souvent originales, parfois atypiques.
  • Un décalage entre maturité intellectuelle et affective : l'enfant est dyssynchrone (Jean-Charles Terrassier) : malgré des réflexions et capacités intellectuelles très avancées, il reste un enfant de son âge sur le plan affectif.
  • Une relation aux autres complexe : l'enfant ne partage pas les même centres d'intérêt que ses camarades. Son hypersensibilité et/ou sa dyssynchronie peuvent aussi générer de l'incompréhension, voire de l'isolement.
  • Un questionnement des règles et de leur sens : l'enfant a un grand sens de la justice. Il interroge régulièrement le cadre pour en comprendre la logique et en détecter les failles. Les règles doivent faire sens pour qu'il les adopte.

Quelle est l'influence de la précocité intellectuelle à l'école ?

Il me semble important d'insister sur un point : la plupart des enfants précoces réussissent et vont bien. Les chiffres parfois alarmants que l'on peut lire ou entendre dans les médias et qui parlent de 30% d'enfants précoces en échec scolaire, doivent être manipulés avec prudence. En effet, comme le souligne la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, ces chiffres ne concernent que les enfants surdoués dépistés. Or ces enfants le sont la plupart du temps car ils connaissent des difficultés scolaires ou relationnelles. Les autres précoces, ceux pour qui tout va bien, sont moins systématiquement détectés et ne rentrent donc pas dans les statistiques.
Ceci étant dit, la précocité intellectuelle peut avoir une influence, positive ou négative, sur les apprentissages et les relations.

Apprentissages et méthodologie

A partir des caractéristiques générales vues plus haut, j'ai synthétisé sur cette carte mentale les principales influences, positives ou négatives, de la précocité intellectuelle sur les attitudes scolaires et les apprentissages. Ce document n'a pas vocation à être exhaustif, mais il peut constituer une première grille d'observation et d'identification des élèves précoces.

Relations et personnalité

Cette carte mentale synthétise les principales influences de la précocité intellectuelles sur les relations sociales de l'élève à l'école. Couplée à la précédente carte, elle permet d'affiner le regard sur les élèves précoces et d'apporter un éclairage sur certaines de leurs attitudes en classe et avec les autres.

Dans certains cas, l'enfant précoce peut se trouver dans une situation de refus scolaire et/ou de souffrance psychologique profonde. Bien sûr, la précocité intellectuelle n'explique pas tout, ne justifie pas tout. Mais elle offre un éclairage sur certains comportements ou difficultés.

En bref

Vous en savez maintenant un peu plus sur le mode de fonctionnement des élèves intellectuellement précoces ainsi que sur ce qui les caractérisent.
Dans le deuxième épisode de cette série, nous verrons comment les repérer en classe ainsi que la place de la famille dans le processus de reconnaissance.

Bibliographie

  • Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante, Jean-Charles Terrassier, Editions ESF, 1981
  • L'enfant surdoué, Jeanne Siaud Facchin, Editions Odile Jacob, 2002
  • L'épanouissement de l'enfant doué, Sophie Côte, Dr Ladislas Kiss, Editions Albin Michel, 2009
  • 100 idées pour accompagner les enfants à haut potentiel, Dr Olivier Reval, Roberta Poulin, Dorris Perrodin, Editions Tom Pousse, 2015
  • L'enfant doué, l'intelligence réconciliée, Arielle Adda, Hélène Catroux, Editions Odile Jacob, 2016

Sitographie