En ce moment, on peut avoir l'impression de "vivre l'Histoire en direct", et peut-être que les évènements actuels seront consignés dans les manuels d'Histoire de demain... Mais lorsqu'il s'agit d'étudier des évènements passés que vos élèves (et vous) n'avez pas vécus, comment rendre la discipline plus attractive et concrète à leurs yeux?

1.Etablir des rituels d'histoire en classe

Pourquoi toujours axer ses rituels sur la date, la météo ou les langues vivantes ? Toutes les disciplines s'y prêtent. En voici quelques exemples pour l'histoire :

  • Le jeu du mot de passe : pour rentrer dans la classe ou débuter les cours du jour, les élèves doivent donner le mot de passe du jour. Pour le trouver, ils consultent un ou plusieurs documents proposés par l'enseignant (image, texte, musique, vidéo...) en lien avec la séance d'histoire précédente : par association d'idées et réactivation des connaissances, ils devraient trouver le mot de passe correspondant à une date, une notion, au nom d'un personnage... étudiés précédemment.
Source : Pixabay
  • Un jour, une découverte... Il existe tout un marché de petits éphémérides en tout genre avec un thème donné. Le format s'adapte bien à l'Histoire et à l'Histoire des Arts. Vous en trouverez dans le commerce, sur les blogs enseignants ou vous pouvez fabriquer le vôtre. Le but : découvrir ou redécouvrir chaque jour une œuvre d'art, un évènement, un personnage célèbre, une notion historique, etc.
    Les petites vidéos de "un jour, une actu" peuvent aussi être pertinentes, parce qu'on peut souvent raccrocher des évènements passés à l'actualité, et établir des comparaisons.

2.Relier la petite histoire à la grande

Partir de la "petite histoire" des enfants, c'est à dire de leur vécu personnel, ce qu'ils connaissent, pour les raccrocher à la "Grande Histoire". Cela parait plutôt évident, mais on peut l'oublier quand on utilise des supports créés pour les petits français dans leur ensemble (manuels scolaires) ou lorsqu'on étudie des notions, des évènements, ou des supports décorrélés de la vie des enfants aujourd'hui.

  • Se renseigner sur l'histoire de sa commune. Quels que soient la taille et le lieu de sa commune, on trouvera toujours de quoi faire : oppida gaulois ou ruines romaines, église typique, arbre qui a traversé les siècles, une ville bombardée puis reconstruite, ancienne ville minière...
    Les archives départementales et régionales, les vieilles cartes postales,  l'Etat Civil sont des outils gratuits précieux pour faire des recherches. De même, le site de l'IGN propose aussi un outil intéressant pour remonter dans le temps en croisant vues aériennes actuelles et passées, et cartes d'époques.
Un exemple ci-dessous avec le quartier de nos bureaux à Nantes : en comparant une photographe aérienne actuelle avec une carte d'Etat-Major du XIXe siècle, on peut se rendre compte que l'actuel Boulevard des 50 Otages correspond à l'ancien cours de l'Erdre!
capture d'écran réalisée sur l'outil IGN Remonter le temps
  • L'instant où l'on "aborde le temps des parents et des grands-parents", ou plus tard, l'histoire du XXe siècle, incite évidemment les élèves à demander aux membres de leur entourage de témoigner de la façon dont ils ont vécu l'Histoire. C'est le bon moment pour rechercher de vieilles photographies de classe de l'école ou de réaliser un petit musée avec des objets du quotidien de ses parents/grands-parents : enregistrements audio divers (cassettes, vinyles, CD...), photographies de personnes ou de lieux connus des enfants à d'autres époques, récits et témoignages sur "qu'est-ce que je faisais quand..." (l'homme a marché sur la Lune, le mur de Berlin est tombé, etc.)... Et pour ne pas tomber dans la nostalgie facile, pourquoi ne pas demander à chaque famille de ramener ou témoigner d'un élément "qu'ils trouvaient mieux avant" et d'un autre prouvant que la société a effectué un progrès.

3.Mener une "enquête historique"

Le témoignage des familles peut aussi être un bon point de départ pour aborder le degré de fiabilité des sources historiques. En effet, les enfants se rendront vite compte que pour un même évènement vécu, les opinions et les ressentis divergent, les récits sont plus ou moins précis (selon la localisation de la personne, si elle rapporte ou non un fait...), même si des points communs peuvent être trouvés.

Il est nécessaire de mener un travail sur les sources historiques et les différentes traces du passé : il paraît difficile de contourner la traditionnelle étude de documents en histoire, pour développer son esprit critique. En effet, les fake news n'ont rien de nouveau :)
Nous avons déjà parlé de la vérification des sources dans d'autres articles, ici par exemple, je ne m'étalerai donc pas sur le sujet. Dans le même ordre d'idées, on peut faire travailler ses élèves sur des fausses rumeurs ou documents partagés dans le passé, ou sur le détournement de certaines images historiques.

Pour rendre le travail d'étude de docs plus accessible aux yeux des élèves, appuyons-nous sur ce qui fonctionne bien en ce moment : les Escape Games ont le vent en poupe, difficile de passer à côté! Ils s'adaptent bien à la démarche de l'historien : fouiller pour récolter des ressources variées, comparer des documents, discuter en équipe pour extraire des informations importantes ou repérer des informations contradictoires ou incorrectes, etc. Vous trouverez des propositions d'Escape Game historiques dans le catalogue Nathan, ou sur le blog La classe de Mallory.

Vous pouvez aussi organiser des jeux de piste, comme ceux proposés sur ce site pour la ville de Paris.

4.Lire, écouter et partager des histoires

On vous présentait il y a quelques temps divers albums, documentaires, BD et podcasts pour faire découvrir et adorer l'histoire, sur lesquels vous pouvez vous appuyer.

La BD a toujours été un moyen formidable d'illustrer l'Histoire... Si les BD historiques s'adressent en général davantage aux collégiens ou aux adultes, il est quand même possible de trouver des séries pour les plus jeunes :

Des revues de qualité existent également, comme Quelle Histoire chez Fleurus, ou le magazine Arkeo. Vous pouvez proposer à vos élèves de faire des revues de presse sur un article à thématique historique. Ce sera un bon moyen de partager leurs découvertes à la classe et d'en discuter collectivement.

Enfin, même si tout n'est pas bon à prendre, on trouvera toujours de quoi faire au niveau des films historiques. Pour des vidéos plus courtes, le site Lumni propose un ensemble de petits documentaires et de quiz en lien avec les programmes d'histoire.

5.S'appuyer sur les ressources des sites historiques

Un autre bon moyen de vivre l'Histoire et de s'impliquer dans un projet, c'est encore de se rendre sur les lieux qui ont fait l'Histoire ! Monuments historiques, sites patrimoniaux remarquables... Chaque site propose en général de nombreux ateliers (calligraphie, techniques des bâtisseurs, tir à l'arc...), des reconstitutions, des visites contées ou déguisées, des parcours thématiques ou des Escape Game, ou des reconstitutions pour les enfants.

Les sites patrimoniaux et les musées utilisent aussi maintenant beaucoup les réseaux sociaux pour dévoiler des anecdotes, des vidéos culturelles ou sur les travaux de rénovation en cours, des dates d'exposition... J'aime bien par exemple les petites vidéos dynamiques du château de Versailles sur TikTok.

6.Jouer à des jeux de société/jeux vidéos

Le jeu de société est vieux comme le monde, il fait partie de l'Histoire, lui aussi ! Il a aussi évolué avec les sociétés... Aujourd'hui, on en trouve pour tous les goûts, même pour les petits historiens ! En voici quelques exemples :

7.Faire des jeux de rôles, changer de point de vue

C'est connu, mais ça marche à tous les coups ! Pour des raisons éthiques bien souvent, toutes les situations historiques ne s'adaptent pas au jeu de rôle... mais proposer un jeu de rôle de manière ponctuelle peut être intéressant.

L'exemple le plus connu est celui où vous reconstituez les Etats Généraux en classe, une majorité des élèves jouant les représentants du Tiers-Etat et deux autres petits groupes représentant la Noblesse et le Clergé. Mis en condition, et souvent impliqués dans leur rôle, les élèves distinguent plus concrètement les tenants et les aboutissants d'un évènement, en apportant différents points de vue.

Afin d'être le plus exhaustif possible, on peut aussi varier les points de vue dans les corpus de documents présentés aux élèves. C'est le but du corpus, me direz-vous... oui, en théorie. Mais en pratique, on ne trouve pas tant d'écrits de femmes, ou de témoignages de personnes non françaises au moment des faits !

8.Piocher dans les outils numériques

Une multitude de petits trucs et outils numériques peuvent nous aider à étayer une séance d'histoire. Voici quelques idées piochées "en vrac" :

  • Map of Contemporaries : Un outil intéressant, pour voir en un clin d'œil qui a vécu en même temps que qui. On peut facilement paramétrer des zones géographiques de comparaison, des domaines en particulier (arts, inventions...), ou un degré de précision.
Map of Contemporaries
The history of the world in famous people’s lifespans.
  • Un Gif de l'évolution des frontières de la France de 985 à 1947
  • Pour travailler l'Histoire de l'Art : plus besoin de se déplacer pour observer des œuvres d'art, le web est devenu le plus grand musée du monde ! On peut trouver des reproductions facilement et en toute légalité avec des projets comme Google Arts & Culture ou The Yorck Project (Wikipedia). Les sites des musées proposent souvent des visites guidées d'une partie ou de la totalité des bâtiments, ou les collections en ligne.
    Il existe aussi des applications gratuites comme Virtual Culture Access pour visiter virtuellement des sites et monuments du monde.
  • Revivre l'histoire à travers les articles de presse : le site RetroNews.fr est un site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Il donne accès gratuitement à des milliers de titres de presse publiés entre 1631 et 1950.

9.Se sentir soi-même à l'aise pour enseigner l'histoire

L'Histoire a une réputation de discipline difficile à enseigner : trop ennuyeuse et scolaire pour certains, difficile à aborder pour l'autre (peur de propager une fausse version, d'exposer ses opinions, de manquer de culture). Comment donner l'envie aux élèves d'étudier l'histoire si la matière nous donne des boutons ?
Pourtant, l'histoire n'a jamais été aussi accessible que maintenant, des contenus de qualité existent sur les réseaux sociaux. Attention, je ne parle pas ici de ressources pour les élèves mais de ressources pour les enseignants curieux : les sujets abordés, le vocabulaire et/ou le format ne sont pas adaptés à des enfants de primaire.
Voici une sélection de chaînes Youtube (souvent déclinées sur d'autres supports) pour développer sa culture historique personnelle :

  • Nota Bene : animée par Benjamin Brillaud, entouré d'historiens et d'iconographes, cette chaîne Youtube de vulgarisation historique (qui reste cependant pointue et sourcée) a fait des petits depuis : livres, podcasts, vidéos et informations accessibles sur Facebook, Instagram, Twitter, et Twitch...Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas !
  • C'est une autre histoire : c'est la chaîne Youtube de Manon Bril (ce n'est pas son vrai nom ;)), historienne de formation, ayant enseigné en tant que PE quelques années. Elle est aussi présente un peu partout : conférences, émission Faire l'Histoire sur Arte, réseaux sociaux, et bientôt un festival d'humour culturel... Elle propose différents concepts sur sa chaîne : épisodes animés sur un thème précis, souvent cocasse ; analyse de tableaux et "relooking mythologiques" (l'iconographie est son sujet de prédilection), anecdotes historiques et architecturales sur certaines grandes villes, vlogs de thèse... son utilisation de TikTok d'une manière intelligente et ludique vous fera changer d'avis sur ce réseau !
  • L'histoire nous le dira : présentée par Laurent Turcot, professeur en sciences humaines et passionné d'histoire des loisirs et des divertissements, cette chaîne est une mine d'or, abordant de nombreux thèmes de l'histoire : l'histoire des grands évènements (guerres, épidémies...) mais aussi l'histoire plus "quotidienne", axée sur les habitudes et loisirs des sociétés à diverses époques. De nombreux liens sont aussi fait avec l'actualité ou la pop culture. Et puis, tout est plus cool avec l'accent québécois.
  • Les Revues du Monde : Cette chaîne de Charlie Danger est plutôt axée sur l'archéologie, avec des capsules autour de thèmes donnés, ou des vidéos de debunks autour de sujets ésotériques (par exemple, rappeler les faits historiques autour des pyramides plutôt que de parler d'extraterrestres !). Très engagée dans le féminisme, Charlie Danger propose souvent des sujets boudés par les historiens, comme cette vidéo passionnante (si si je vous assure) sur "les règles dans l'Histoire". Les rouges, pas celles qui servent à tracer des traits.
  • Confessions d'histoire : cette chaîne ne semble plus poster de vidéos désormais, mais a eu le temps d'en accumuler un petit paquet quand même ! Ici,  des acteurs jouant des personnages historiques rejouent l'Histoire avec beaucoup humour. Qui dit humour ne dit pas manque de fiabilité : les auteurs cassent les idées reçues sur l'histoire, celles qui sont bien ancrées dans notre culture commune... allez, au hasard... Les fameuses moustaches des gaulois qui n'ont jamais vraiment existé !
  • La Prof  : là encore, une chaîne au ton humoristique principalement axée sur l'histoire, avec des "Chroniques de prof" plutôt orientées sur la vie au Moyen-Âge, ou encore une série de vidéos sur les "Gentes Dames Badass".
  • Le dessous des cartes : diffusée sur Arte le samedi à 19h30, les vidéos sont également disponible sur Arte.tv et Youtube. Elles expliquent de façon très claire et concise des notions de géopolitique (et donc d'histoire).

Pour vous cultiver en histoire des Arts, je trouve qu'Instagram est un réseau parfaitement adapté, puisque misant sur le "très visuel". J'avais déjà parlé de @la.minute.culture de Camille Jouneaux que j'adore. Elle maîtrise parfaitement la pop culture et détourne des tableaux pour raconter la vie d'un artiste, d'un courant ou d'un mythe, tout comme le compte @classical_art_meme_official ou @whereverhugo. Les influenceurs Art comme @margauxbrugvin, @mr.bacchus, @culturezvous ont aussi des comptes très intéressants sur le réseau. Ils mélangent histoire de l'art et renseignements sur les expositions actuelles.
Si vous aimez l'iconographie et les objets du Moyen-Âge, @perlesmedievales est fait pour vous!
Pour la musique, j'aime bien le compte de @les_petites_fiches_opera (et c'est un exploit parce que l'opéra n'est vraiment pas ma tasse de thé) et pour la mode, la très stylée @sapecommejadis

M'étant un peu lâchée sur les contenus numériques, je vais être un peu plus light sur les idées "livres".
Si je ne devais en garder qu'un pour l'histoire (je vous donne le mauvais exemple, bien sûr que vous allez varier vos lectures), je choisirais 1515 et les grandes dates de l'histoire, sous la direction d'Alain Corbin. Les auteurs reprennent les pages de manuels et les grandes dates qui étaient étudiées sous la IIIe République, et démêlent le vrai du faux en croisant les différentes sources disponibles. Logiquement, on comprend que l'Histoire que l'on apprend n'est pas la même selon le lieu et l'époque dans laquelle on vit !

Et si je ne devais en garder qu'un pour l'Histoire des Arts, ce serait le gros pavé du même nom, Histoire de l'Art d'Ernst Gombrich. Ecrit en 1950 et réédité de nombreuses fois, c'est un classique, bien illustré. Il est tout simplement passionnant, hyper abouti et pourtant d'une grande simplicité et fluidité.