Ne fuyez pas à la lecture du titre, restez un peu! On sait que vous en avez marre des concepts tordus, des formulations un peu ridicules (bonjour, référentiel bondissant), des expressions à rallonge (bonjour, milieu naturel aménagé ou artificiel) et des néologismes qui font apparaître des lignes brisées rouges sur vos logiciels de traitement de texte (bonjour, remédiation). Cependant, certains noms bizarroïdes renvoient à des concepts très intéressants qui méritent d'être connus !
On a décidé de sélectionner pour vous quelques notions, quelques concepts et d'essayer de les expliquer, le plus simplement et précisément possible, avec des vrais mots qui sont dans le dictionnaire. Pour que la lumière apparaisse sur votre visage en formation. Là, sur votre chaise, vous serez assis, confiant, et vous pourrez dire : je sais...Vous serez alors prêt à ouvrir votre cœur à ces concepts dans votre pratique quotidienne.
Premier concept de notre série : la taxonomie de Bloom! Alors non, il ne s'agit pas d'une manière d'empailler vos animaux (ça c'est la taxidermie), et on ne parlera pas non plus de congés payés (ça, c'est Léon Blum).
Décortiquons les termes de ce concept...
Le mot "taxonomie" est au départ un terme biologique, étendu à d'autres domaines. Globalement, il désigne une classification hiérarchisée de différents éléments : quand vous travaillez sur les "mots-étiquettes" en classe, vous faites une taxonomie. Vous demandez à vos élèves de faire des classements, de la catégorie la plus globale (animaux) à la plus détaillée (casoar à casque, pika à collier des régions montagneuses*...)
Quant à Benjamin Bloom (1913-1999), il s'agit d'un psychologue américain spécialisé en pédagogie et en docimologie** ayant contribué à l'établissement de cette taxonomie avec ses collaborateurs. Il a beaucoup travaillé autour de la pédagogie de la maîtrise : il estime qu'il faut repérer les erreurs des élèves et les corriger à chaque stade de l'apprentissage, pour pouvoir maîtriser les notions les plus complexes. Cette pédagogie utilise les feedbacks (retour sur les erreurs et analyse) pour proposer des remédiations.
Comment est née la taxonomie de Bloom?
Dans les années 1940-50, Bloom et son équipe travaillent sur l'organisation d'examens pour l'université de Chicago. Des professeurs leur envoient des propositions de sujets en rapport avec la Guerre de Sécession, et l'équipe se rend compte que celles-ci font travailler des compétences très variées et de niveaux de complexité bien différents : certains sujets demandent une simple restitution du cours théorique (nommer les causes de la Guerre de Sécession) ; d'autres font appel à un esprit d'analyse et de synthèse (étude de documents et rédaction d'une synthèse autour des points de vue sudistes et nordistes à propos des causes de la guerre).
Bloom commence alors à réfléchir à un classement, une organisation de ces questions d'examen -puis des objectifs d'apprentissage en général- par domaines d'activité dans un premier temps (1948). Il établit trois domaines :
- Domaine cognitif : il réunit les objectifs en lien avec les activités intellectuelles, les mécanismes de pensée. Ex : rédiger une dissertation, mémoriser des connaissances, résoudre un problème de maths...
- Domaine affectif : les objectifs à atteindre sont en lien avec les valeurs de l'apprenant. Ex : respecter ses engagements, mettre en valeur le travail de son équipe...
- Domaine psychomoteur : il concerne les activités à dominante motrice. Ex : sauter à la perche, souder les composants d'un porte-clés, manipuler un compas...
La taxonomie de Bloom en détail...
En partant du domaine cognitif, Bloom et son équipe établissent ensuite six niveaux hiérarchisés (1956), présentant les activités intellectuelles de la moins complexe à la plus complexe, d'où le terme "taxonomie". Voici ces 6 niveaux :
1) Connaissance : mémoriser et restituer les informations avec les mêmes termes.
Ex d'activités : nommer, lister, réciter, souligner, répéter, reproduire, définir...
2) Compréhension : être capable de restituer les informations en les reformulant avec ses propres mots.
Ex : expliquer, donner un exemple, traduire, illustrer, démontrer, reconnaître, discuter, décrire...
3) Application : utiliser ses connaissances et/ou mettre en pratique des règles, des principes ou des méthodes (non fournis) pour résoudre une situation ordinaire ou un problème.
Ex : utiliser, construire, résoudre, réaliser, adapter, choisir, opérer...
4) Analyse : identifier les parties constituantes d'un tout pour en comprendre le fonctionnement ("décortiquer" une idée)
Ex : organiser, comparer, rechercher, catégoriser, expérimenter, manipuler, examiner, argumenter, critiquer, tirer une conclusion...
5) Synthèse : réunir ou combiner des parties pour former un tout, autrement dit, concevoir un produit, une idée, une méthode.
Ex : assembler, construire, collecter, créer, développer, formuler, organiser, proposer, compiler, inventer, imaginer, ...
6) Evaluation : formuler des jugements sur un produit en se basant sur des critères.
Ex : faire des hypothèses, critiquer, juger, contrôler, justifier, défendre, prédire, recommander, débattre, persuader...
Vous trouverez tout un tas de représentations pour cette taxonomie : en tableau, en marches, en pyramide ou sous la forme d'une roue/fleur, etc.
Evolution de la taxonomie au fil du temps
En 1964, Bloom, Krathwohl et Masia établissent la taxonomie du domaine affectif.
Vous vous en êtes peut-être rendus compte en essayant d'assimiler une activité à l'un des niveaux, il peut être difficile de différencier les niveaux 4, 5 et 6. Ceux-ci peuvent s'entremêler. C'est pourquoi un bon nombre de praticiens n'utilisent que quatre niveaux : connaissance, compréhension, application, intégration.
En 2001, certains auteurs (Krathwohl, Andersen...) proposent une taxonomie de Bloom révisée. Vous pourrez parfois tomber sur des versions faisant apparaître les modifications suivantes :
- Niveaux supérieurs différents : le niveau synthèse est remplacé par le niveau création et placé au-dessus de l'évaluation dans la hiérarchie (on estime qu'il est plus difficile de créer un produit que d'y apporter un jugement).
- On tend à utiliser des verbes (connaître, comprendre...) plutôt que des noms.
- Le terme "métacognition" peut parfois apparaître dans les niveaux supérieurs.
- Ajouts de "tables de spécification", pour détailler et hiérarchiser plus encore les objectifs. Il s'agit d'un tableau à double entrée avec un axe correspondant aux niveaux de la taxonomie cognitive, et un axe sur les "types de connaissances" : factuelles, conceptuelles, procédurales, métacognitives.
Mais ici, on arrive au niveau Super Saiyan de la taxonomie de Bloom et je sens que je vous perds.
C'est bien beau tout ça, mais à quoi ça sert?
A organiser vos séquences d'apprentissage selon une progression, en fonction de ce que vos élèves savent déjà faire.
En effet, en règle générale, on commence par aborder une notion en douceur avant de complexifier le travail. Cela ne veut pas dire qu'on suivra toujours les niveaux de la taxonomie dans l'ordre : vous pouvez découvrir une notion par une situation-problème si vous estimez que vos élèves sont déjà à l'aise dans les premiers niveaux. Car la taxonomie de Bloom permet de situer où en sont vos élèves et donne des pistes sur les activités qu'ils sont prêts ou non à faire. On peut aussi leur expliquer que ce n'est pas parce qu'ils ont bien appris leur leçon, qu'ils maîtrisent parfaitement la notion dans tous les cas de figures.
La taxonomie de Bloom est aussi un support cadré pour pointer les activités que vous menez le plus souvent et celles que vous oubliez. Si vous ne proposez que du niveau 1 à vos élèves, ils vont vite s'ennuyer...si vous proposez du niveau 5 trop vite, ils vont se décourager...comme pour toute chose, il faut savoir doser.
Vous devez aussi tenir compte de cette hiérarchie dans les évaluations proposées. Si vous faites toujours des activités de premier niveau en classe, mais que vous attendez des réflexions de niveaux supérieurs au moment d'une évaluation, vous risquez d'être déçu par les résultats...
Enfin, la taxonomie peut vous aider à organiser des ateliers d'autonomie ou à proposer des exercices autocorrectifs : privilégiez les activités de niveaux 1 à 3.
*oui, ce sont de vrais animaux.
** décidément, vous allez briller en société avec tous ces mots. La docimologie est une discipline scientifique consacrée à l'étude du déroulement des évaluations et à la façon dont les correcteurs attribuent les notes.